En ces temps douloureux de terrorisme islamique, il n'est pas inutile, il est même recommandé de lire les ouvrages traitant du sujet. Il en est un, publié en 2013 qui résiste au temps et est encore d'actualité, intitulé « Gouverner au nom d'Allah » , sous-titré Islamisation et soif de pouvoir dans le monde arabe, il est écrit par le romancier algérien Boualem Sansal et publié chez Gallimard. L'auteur, romancier dont l'oeuvre littéraire a été récompensée par plusieurs prix français et étrangers, il a notamment écrit, en plus fort de la guerre civile en Algérie Le serment des barbares. Dans « Gouverner au nom d'Allah », Sansal avance avec précaution pour détricoter le phénomène islamiste; à petites foulées régulières et sans forcer le trait, il monte au front avec une inquiétante sérénité et s'adonne sans l'avouer à un exercice d'enseignant en histoire ou d'islamologue, ou encore de sociologue, même s'il n'est ni l'un ni l'autre, dit-il ; didactique à souhait, son livre est un témoignage essentiel, une référence en la matière « c'est une réflexion d'un témoin, d'un homme dont le pays, l'Algérie en l'occurrence, a très tôt été confronté à l'islamisme, un phénomène inconnu de lui jusque- là » dit –il dans l'introduction . Nous ajouterons que le « témoignage romancé » est tout à la fois une leçon d' histoire, de sociologie, ou encore d'enquête journalistique fouillée, tant il est soutenu, convaincant, et digeste. C'est en somme un livre de vulgarisation à l'intention des non initiés ; quand au style, il coule de la source d'un écrivain rompu à la narration et nourri dans cet ouvrage de son vécu, le lecteur, qu'il soit penseur en religion musulmane, amateur ou chercheur, curieux de la pensée islamiste sera saisi par la richesse des descriptions, des détails et séduit par le genre qui n'appartient ni au traité ni au roman. Un genre original, qui relate notamment avec moult détails la décennie noire qu'a vécue l'Algérie, et ce avec une aisance particulière, appuyé par une écriture captivante. Cet ouvrage de cent soixante pages comprend une introduction, cinq chapitres et une conclusion et présente l'islamisme sous toutes ses facettes, décortique ses variantes, preuves et dates à l'appui. Pour mémoire, l'auteur cite quelques faits historiques à retenir : 1930-1950, la jonction idéologique entre la puissante association des Frères musulmans ( en 1948, elle comptait plus de deux millions d'adhérents) et la riche Arabie Saoudite, première puissance pétrolière et certains émirats du Golfe, cette jonction visait à combattre l'occidentalisation culturelle des pays musulmans qui avait séduit déjà leur élite ; 1979 la révolution islamique en Iran ; la décennie noire ou la confrontation entre les islamistes radicaux et le pouvoir algérien 1991-2006, avec plus de deux cents mille morts, une économie dévastée et l'image ternie dans le monde du peuple algérien ( cette image rappelle en tous points, celle que notre pays projette actuellement dans le monde.) ; l'Internationalisation de l'islamisme, la radicalisation dans des organisations Jihadistes (Al Qaïda, Aqmi) dont l'apogée fut les attentats du 11 septembre 2001 ; l'infiltration en 2011-2012 des révoltes populaires ( Printemps arabes) et leur récupération à son profit, où l'on apprend dans ce contexte que l'internationale islamiste a toujours plusieurs fers au feu, leur idéologie s'adaptant à toutes les situations, il va de soi que pour les islamistes la fin justifie les moyens, ce que la rue en Algérie, pendant ces années noires appelle justement « Jekyl & Hyde » ; cette posture s'est manifestement révélée au jour dans le pays de la révolution dite « du jasmin ». Sansal, explique par le détail que la résurgence de l'islamisme donne deux images de l'Islam particulièrement en Europe, l'une négative, l'autre plutôt nuancée ; la radicalisation qui gagne du terrain parmi les jeunes musulmans de la deuxième et de la troisième génération reste inexplicable et inexpliqué. Les débats ont exploré toutes pistes et des tentatives ont été menées pour apaiser les tensions et promouvoir un nouveau « vivre-ensemble », mais rien n'y fait. Les événements actuels, la décapitation du professeur d'histoire à Paris Samuel Paty, l'attentat de Nice suivi de celui de Vienne ne viennent-ils pas corroborer la « leçon » donnée dans cet ouvrage par Boualem Sansal ? H.H