Jusqu'à l'heure, on se demande sur la nature réelle de la visite du chef du gouvernement Hichem Méchichi, à Paris et à Rome, écourtée in-extremis pour cause de coronavirus. Bien que le chef du gouvernement soit parti en comité restreint, la présence du ministre des Affaires étrangères Othman Jarandi parmi la délégation tunisienne marque l'adhésion du Président de la République à cette activité. Reste la forme. Paris et Rome, pour la Tunisie, c'est du lourd. Sur tous les plans. C'est d'abord l'Europe, avec qui nous avons bien des dossiers pendants. Le plus important, et non des moindres, est celui de la forme de la coopération recherchée par les deux rives de la Méditerranée, par temps de crises majeures sur tous les flancs de cette partie centrale du globe. Il y a le dossier du fameux ALECA, celui de la coopération entre la Tunisie et l'Europe en matière d'agriculture, avec ses infinies ramifications, économiques, financières, commerciales et surtout environnementales. Sur ce point précis, aucun document relevant de la visite du chef du gouvernement tunisien à Paris n'a pipé mot. Du moins selon les ordres du jour publiés par la Kasbah à Tunis, et Matignon à Paris. Un déplacement sans ordre du jour A part quelques déclarations « de politique générale » sur les perspectives de la coopération entre Paris et Tunis, avec leur lot de lapalissades et de convenances tranchant net avec la morbidité ambiante, la visite n'aura été qu'une occasion obscure que l'opinion publique a du mal à saisir. Le plus gros dossier repris par les médias français à l'occasion de ce « contact », est celui de l'immigration, un sujet en passe de devenir tabou dans la diplomatie régionale, en particulier, auprès des médias. Au moment où la Tunisie fait l'objet de pressions insoutenables de la part des Européens, en particulier les Français et les Italiens, le chef du gouvernement tunisien, au cours d'un entretien avec un média français aurait « évoqué » le terrorisme, dans ce contexte de l'immigration. Une déclaration à prendre avec un maximum de circonspection, en attendant de plus amples explications du chef du gouvernement tunisien. Curieuse aussi était la déclaration du chef du gouvernement tunisien sur « le changement de profil » du parti islamiste Ennahdha, un « hors sujet » par excellence et à tous les égards, la question ne dépendant pas, au demeurant, des prérogatives du chef du gouvernement en visite à l'étranger. Est-il, en effet de son devoir d'exposer des questions de politique intérieure à ses hôtes étrangers ? Si tel est le cas, dans quel contexte cette évocation a pris sa légitimité ? A moins d'un mandat clair du Président de la République. Et même dans ce cas, c'est le ministre des Affaires étrangères qui était le mieux placé pour le déclarer. Ainsi, pour la première fois, un chef du gouvernement tunisien, prend l'avion pour une visite à l'étranger, sans que l'on connaisse son ordre du jour ou son agenda officiel. Comble de la malchance, le ministre chargé de l'économie, sensé exposer les besoins de la Tunisie morose en matière de financements et de perfusions diverses, est testé positif à la Covid-19. A quoi donc aurait servi ce déplacement ? Halte au chantage italien ! Dans ce désordre organisationnel et protocolaire, le report de la visite de Méchichi à Rome se présente comme étant un répit du ciel, au cours duquel bien des choses devraient être resserrées. Parmi les dossiers à bien ficeler, il importe de savoir si l'Italie, gouvernée actuellement par une alliance de droite et d'extrême droite, est en passe d'imposer à son voisin du sud, l'immigration, ou l'arrêt de celle-ci, comme étant un instrument de chantage économique et diplomatique que la Tunisie est appelée à endurer, afin de maintenir un semblant de stabilité régionale. Tout porte à le croire. Sauf que la situation en Libye, tout en ne dédouanant aucunement les autorités tunisiennes sur ce dossier, n'en constitue pas moins un réel facteur d'aggravation de l'immigration inter-méditerranéenne. Et puis, la Tunisie n'est pas le seul pays du littoral sud de la Méditerranée à gérer les milliers de clandestins qui traversent quotidiennement la mer vers le vieux continent. Il y a le Maroc, l'Algérie, la Libye, et si l'on veut allonger la liste, on peut aller jusqu'à la Turquie, membre de l'OTAN, et la Grèce, membre de l'Union européenne. La position italienne est-elle en train de jeter tout le poids de ce grave dossier sur la Tunisie seule, étant consciente de la vulnérabilité de ce pays du sud de la Méditerranée ? Bien des indices le confirment sans trop de scepticisme. Comment expliquer donc, l'envoi, par ou via l'Italie, de centaines de conteneurs de déchets, dont certains sont hautement toxiques, vers la Tunisie, dans une opération où semblent impliqués aussi bien des milieux gouvernementaux italiens que des structures mafieuses opérant dans le bassin méditerranéen. Quelle crédibilité aura-t-on à mettre à l'actif de l'Italie, même quand elle se met aux premiers rangs des signataires des conventions et accords les plus progressistes en matière d'environnement ? L'ultime question à nous poser, la Tunisie est-elle en train de troquer la santé et l'avenir de sa population contre des perfusions financières éphémères et aléatoires pour le moins déstabilisantes, voire compromettantes, à court et à moyen terme. Cette visite nous aura laissé l'impression qu'un « gouvernement de technocrates » n'est pas nécessairement bon prestataire, quand il s'agit de commercer en dehors du territoire. Cela s'appelle de la diplomatie. Ce que nous n'avons plus, à ce qu'il parait, chez nous. J.E.H.