Le transport ferroviaire demeure parmi les infrastructures le plus importantes de l'économie partout dans le monde. Chez nous, et bien que nous avions hérité d'un réseau de chemin de fer important à l'indépendance, ce secteur a été souvent délaissé. Des portions entières du réseau sont à l'arrêt tandis que la faible maintenance, le manque d'investissement et surtout le manque d'une stratégie ferroviaire nationale, sont en passe d'achever le déclin de cet énorme acquis. Entre les accidents de trains très fréquents, l'exécrable qualité du matériel roulant et des dessertes et la mauvaise qualité des services de la SNCFT (Société Nationale des Chemins de Fer de Tunisie), l'image du train en Tunisie en ce début du XXIème siècle est au plus bas chez le grand public et aussi chez les opérateurs économiques. Pourtant, nous avons besoin aujourd'hui, plus qu'à toute autre époque, de ce moyen de transport alliant sécurité, économie d'énergie et efficience économique. Un réseau presque à l'abandon Des trains roulent en Tunisie depuis 1872, date de l'inauguration de la ligne TGM, première ligne ferroviaire dans le pays. En 1952 le réseau comptait déjà 2 044 Km mais aujourd'hui il compte seulement 2165 Km (chiffres de la SNCFT). C'est-à-dire que nous avons annulé plusieurs lignes et construit d'autres mais en quantité négligeable par rapport aux besoins du pays. Quand on scrute la carte du réseau ferroviaire on constate combien des lignes ont été annulés. Ainsi en est des plusieurs lignes dans le Nord, dans le centre, puisque les trains arrivaient à Thala en passant par Sbeïtla et même Kairouan ! Dans le Sud aussi, les trains arrivaient à Tozeur en passant par Gafsa, tout le bassin minier et allant à Sfax. Malgré ces vicissitudes, le chemin de fer transporte encore annuellement plus de 40 millions de voyageurs, dont plus de 35 millions en banlieue de Tunis et des villes du Sahel. Jusqu'en 2010, la SNCFT transportait environ 10 millions de tonnes de marchandises par an, dont 7 millions de tonnes de phosphate. En 2017, ce chiffre est tombé à 3,8 millions de tonnes seulement dont 2,4 millions de tonnes de phosphate. La SNCFT emploie encore 4518 agents dont la moyenne d'âge est d'environ 42 ans. La SNCFT est au bord de la faillite et sa gestion est, comme tout le secteur public, totalement à revoir. Il faut dire que le chemin de fer n'a jamais constitué une option de développement depuis Bourguiba en passant par Ben Ali et évidement depuis 2010. Un chantier gigantesque Pourtant, les experts en développement sont unanimes à considérer que ce secteur est non seulement prioritaire pour le transport mais qu'il est lui-même un vecteur de développement de plus importants. Un gigantesque chantier économique Dans une note sur la stratégie de développement du réseau ferroviaire tunisien a l'horizon 2040, note éditée par la SNCFT en juillet 2018 en collaboration avec la BERD, Banque européenne pour la reconstruction et le développement, on résume le challenge à venir sur plusieurs axes qui pourraient ouvrir un gigantesque chantier de développement économique et social dont on a instamment besoin. Ainsi on constate dans cette note que « le réseau nécessite une mise à niveau complète et une amélioration des conditions d'exploitation et ainsi fournir une réponse aux besoins des unités de transport SNCFT ». En fait et en plus de la mise à niveau des infrastructures actuelles, la note pointe l'électrification du réseau principal, et la conversion du réseau d'un écartement métrique à un écartement standard car il y a actuellement sur le réseau environ 1762 Km de voie, de 1 mètre d'écartement sur un total de 2165 Km. Il faut également prévoir une mise à niveau et une modernisation de la signalisation et la construction des lignes à grande vitesse pour s'intégrer mieux aux réseaux des pays maghrébins, sans compter la possibilité d'extension du réseau par la construction de nouvelles lignes pour soutenir les priorités nationales en matière de développement et de croissance économique, sociale et technologique. Cependant il faut savoir que les coûts de l'infrastructure ferroviaire sont énormes et en des proportions hors d'atteinte dans une économie comme la nôtre. Les coûts moyens actuels d'un kilomètre de chemin de fer à grande vitesse en Europe avoisinent 5 millions d'euros et tombent à un million d'euros pour un train classique en Afrique de l'Ouest. C'est pourquoi la plupart des pays optent pour le régime de concession à long terme et pour le schéma PPP (Partenariat public –privé) afin de mobiliser les investissements nécessaires. Des perspectives de développement Dans l'optique de notre recherche d'un nouveau modèle de développement, le chemin de fer doit prendre toute sa place. Sans espérer pouvoir s'attaquer à tous les besoins immédiatement, nous pouvons quand même intégrer la voie ferrée dans notre réflexion. Pour le transport du phosphate évidement mais surtout pour rompre l'isolement des régions intérieures de l'Ouest et du Centre. Tabarka, Jendouba, le Kef, et Siliana peuvent bénéficier de l'apport du chemin de fer à leur tourisme et à leur production. Kairouan, Sidi Bouzid, et Kasserine gagneraient à être reconnecter au réseau du Sahel afin d'améliorer leur attractivité économique et rompre leur isolement humain. Pour ce faire, il faudrait commencer par une vraie réforme de la situation actuelle de la SNCFT en commençant par ses freins légendaires, la mauvaise gouvernance et le poids d'un syndicalisme handicapant. La tâche n'est pas aisée et ceux qui s'y sont frottés savent de quoi il retourne ! La SNCFT ne peut pas être vendue aux privé, il n'y aurait simplement pas de candidats pour un tel challenge. Alors, il faut penser sa réforme dans l'optique d'atteindre un service public digne du XXIème et ceci est un challenge de la volonté que nous pouvons décemment espérer. A.L.B.M.