C'est des univers très inquiétants. Mais c'est aussi des univers, au plus près de l'intime. De ce qui fait secrètement le lien, d'une histoire, l'autre, d'un destin l'autre, avec notre condition d'humains. Qui devons effectuer sur terre, trois petits tours, avant de partir, le plus souvent sur la pointe des pieds. Sans se faire remarquer. A l'arrivée, comme au départ. A peine quelque remous, quelques ridules visibles, à la surface de l'eau, avant qu'il ne reprenne son visage de miroir. Personne ne songera à chercher le caillou, à pister sa trace dans les profondeurs, à raconter son histoire. Neila Gharbi, qui a signé ce recueil de nouvelles, est journaliste, critique de cinéma, enseignante universitaire, poète et peintre à ses heures perdues, sachant que ses heures perdues, elle les dédie à la création. Et créer, c'est d'abord plonger en soi-même. A la recherche des souvenirs pour s'en nourrir. Et en nourrir la trame de ses récits. Avec l'imaginaire, qui prend le pas sur la réalité, pour réinventer des vies, à ses personnages. « En flagrant délit des solitude », place en exergue, la figure de Baudelaire, à travers son poème en prose, intitulé : « Fenêtres ». Et c'est ainsi que d'entrée de jeu, le ton est donné. Ce qu'il y a de propre, dans ces histoires, déclinées par ce recueil, c'est qu'elles gardent de bout en bout, comme un fil conducteur, qui les relieraient, selon une logique imparable, les unes aux autres, comme un air d'étrangeté. Quelque chose, qui vous prend à la gorge comme une angoisse diffuse, du début, jusqu'à la fin, pour vous laisser, cependant, toujours sur votre faim. Le mystère s'épaissit, à mesure que le récit avance. Nous n'en saurons pas pLus à chaque fois, que ce que l'auteure a bien voulu nous en dire. Mais cet univers à la Borges, n'est pas construit, avec des personnages, hauts en couleurs. Loin s'en faut... Ce sont des personnages atypiques, souvent, des déglingués de la vie, des marginaux, des solitaires, des destins brisés, bref, tout ce qui ne dépeint pas l'état d'enchantement du monde, mais plutôt son contraire. Et ces personnages, dont nous préférons ne pas déflorer le récit, ont, chevillée au corps, une extrême solitude. Ce ne sont pas des nantis, et non pas été gâtés par la vie. D'emblée, ils portent la marque d'une destinée. Mais c'est une destinée, marquée par le sceau du dénuement et de l'isolement, et qui n'aura d'autres choix, que d'assumer ce pourquoi, ils n'ont pas choisi de venir au monde. Neila Gharbi, qui s'est inspirée, pour conduire ces récits, de certains personnages qui ont marqué son enfance, leur réinvente une vie, qui est la leur, sans forcément être la leur. Elle leur offre, à travers ses nouvelles, une seconde vie. Pas une seconde chance, ce n'est pas si sûr, mais d'être visibles, alors qu'ils étaient jusqu'alors, condamnés, à l'anonymat et au silence. Un flagrant, et ô combien déchirant, délit de solitude... S.H