Le musée du Bardo est le plus ancien et le plus important des musées tunisiens. Il abrite de riches collections archéologiques retraçant l'histoire multiculturelle de la Tunisie à travers les époques phénicienne, numide, romaine, chrétienne ou encore arabo-islamique. Son exceptionnelle collection de mosaïques complète le tableau pour en faire l'un des principaux musées du bassin méditerranéen. Le musée du Bardo, cinq ans après le terrible attentat du 18 mars 2015 et un an après le début de la pandémie du Covid-19 : état des lieux, défis et perspectives avec Fatma Nait Yghil directrice de ce haut lieu de la civilisation et de la culture. Le Temps-La pandémie a changé la donne en profondeur, y compris pour le musée du Bardo. Comment gérez-vous le manque à gagner, en termes de visites sur le terrain, depuis la crise? Fatma Naït Yghil : la pandémie a touché tous les musées du monde, tous les musées sont déficitaires. Cependant nous avons continué à travailler avec le petit nombre de visiteurs étrangers et surtout tunisiens depuis le 4 juin 2020, date de l'ouverture après le confinement. Sinon nous avons eu recours à la nouvelle technologie numérique pour promouvoir le musée, avec différentes visites virtuelles comme l'application « Bardo Up », sur Smartphone et tablettes, qui est une application de la réalité augmentée. Cependant face à cette situation, le plus important à mon sens, en tant qu'archéologue et conservateur est d'en profiter pour faire les travaux d'aménagements et de restauration de la nouvelle cinégraphie de muséographie à plusieurs départements d'expositions et plusieurs objets archéologiques comme celui du département des trésors, sur lequel je suis en train de travailler. Nous avons plusieurs chantiers que nous ne pouvions pas réaliser en temps ordinaire avec une grande masse de visiteurs... -Il y eu, aussi, le terrible attentat du 18 mars 2015, qui a dû inverser considérablement la courbe des fréquentations, notamment pour les visiteurs étrangers. Est-ce que vous pensez qu'il y a eu résilience? Au moins, deux ans après les faits, comparé à aujourd'hui où la situation est sans doute la même, pour les musées du monde entier? - Oui il ya eu une résilience, aussi bien pour le personnel : premier concerné, que par les visiteurs, sur lesquels l'attentat a eu un effet contraire, donc le revers de la médaille est que cet horrible acte a promu le musée national du Bardo, et lui a donné malgré tout, une « notoriété » et une célébrité nouvelle, puisqu'il y a eu des catégories de visiteurs, et là je parle aussi des tunisiens, qui ont visité le musée pour la première fois après l'attentat, par curiosité de voir l'impact matériel de l'attentat, sur le musée et les objets archéologiques et de découvrir le circuit des terroristes. Nous avons eu énormément d'actions de solidarité et le fameux slogan « Je suis Bardo » de la part de la société civile, des intellectuels, des chercheurs, et des scientifiques du monde entier. D'où le choix du nom du célèbre grand ouvrage « Je suis Bardo », qui a été édité un an après en 2016, en hommage à ces innocentes victimes. Un ouvrage collectif réalisé par d'éminents archéologues et historiens tunisiens et étrangers. Et il a été édité par le soin de l'Institut national du patrimoine (INP) et de l'Agence de mise en valeur du patrimoine et du promotion culturelles (Avppc). Mais la situation reste aujourd'hui plus chaotique, par les dégâts du Corona virus que celle de l'attentat, parce que nous n'avons fermé les portes du musée qu'au cours de cette pandémie. - Le musée du Bardo est réputé dans le monde entier, notamment pour sa collection de mosaïques, uniques en son genre. Est-ce que, lors de visites virtuelles, et l'installation d'un circuit numérique, permettant de découvrir les trésors dont regorge le musée, l'accent a été mis sur elles, afin de capter, d'emblée, l'attention des visiteurs potentiels ? - Oui effectivement, nous mettons l'accent sur les mosaïques mais également, sur l'extrême beauté de l'architecture du 19ème siècle, du monument en lui-même. Le musée aujourd'hui occupe tout l'espace du palais beylical qui était la résidence privée du Bey. Le bâtiment est classé monument historique par décret. Il reflète un décor regroupant différentes influences des grandes civilisations méditerranéennes de l'époque : Andalou-mauresque, Ottoman avec une influence italienne bien mise en évidence. On met en valeur également, les plafonds en bois, sa célèbre coupole en bois sculpté et peint etc.. Sans oublier la célèbre salle de Carthage, où il ya à la fois cette beauté architecturale de ce grand patio, les statuts, les portraits en marbre et les mosaïques. A cela s'ajoute d'autres types d'objets comme la céramique : le bronze, les monnaies, les bijoux, pour montrer la richesse de la collection du musée national du Bardo. Et Aujourd'hui il est classé parmi les 10 plus beaux musées du monde. - Quel catalogue, proposez-vous aujourd'hui, lorsque vous établissez des partenariats avec d'autres musées dans le monde, à l'instar du Louvre, avec lequel le Bardo cultive une forme de partenariat culturel, très riche en termes d'échanges et d'expertises. - Tout dépend du thème sur lequel on va travailler. Le musée est très riche ; il y a même un département d'archéologie sous- marine, du trésor de Mahdia. Il y'a la céramique, le bronze etc. Après, ça dépend du partenaire, de ce qu'il veut, et le partenariat se fait après échange des thèmes et des objets à choisir. Aujourd'hui, il s'agit de deux projets de partenariat, concernant la collection de la sculpture romaine. Le premier toujours en cours de réalisation avec le Musée du Louvre pour la restauration et la formation des jeunes tunisiens dans ce domaine et le deuxième en partenariat avec l'université de Paris IV la Sorbonne, pour l'étude raisonnée et l'inventaire des sculptures de Bardo. - De par votre formation académique, lorsque vous ont été confiées les rênes de ce musée, qu'est ce qui vous a tout de suite, tenu à cœur, et que vous avez tenté de réaliser ces dernières années, pour que ce soit votre apport propre, à ce lieu emblématique, du patrimoine et de la culture du pays ? Avez-vous des défis que vous vous êtes fixés, et dont l'échéance aurait été retardée par les contraintes de la pandémie? - Mon défi, fut tout de suite de donner au musée, plus de visibilité à l'échelle internationale et de lui donner une image positive à travers les riches activités culturelles, les expositions temporaires, les événements, à l'instar des nuits ramadanesques, réservés exclusivement aux chanteurs tunisiens, avec une prédilection pour le Tarab et Malouf, qui vont avec l'ambiance du mois saint, et avec l'espace où se tient cet événement. Un défi qui était bien réussi, au niveau également des activités culturelles : d'où une exposition temporaire numérique d'animation 3D avec l'Italie et avec l'Institut culturel, Italien qui devait être la première en Tunisie. J'ai développée la diplomatie culturelle, l'introduction de l'industrie numérique du Bardo par le Biais de l'application « Bardo Up », un service rendu aux malvoyants avec les textes braille, un projet dans le cadre « Musée pour tous ». - Si vous deviez choisir un objet, un seul, du musée (mosaïque, sculpture ou autres) dont la fascination s'exerce toujours sur vous, comme au premier jour : ce serait lequel ? - Pour moi la magnifique mosaïque, dite du Triomphe de Neptune de Sousse, qui est exposée verticalement dans le hall du musée de Sousse, est devenu symbolique, pour moi. Je la définie comme le triomphe de la culture sur l'obscurantisme. Et mon défi c'est que le musée devienne un lieu foisonnant d'activités culturelles, en plus de la muséographie. Un lieu de patrimoine vivant... Propos recueillis par L.C