L'agriculture tunisienne, après un premier plan d'ajustement structurel au milieu des années 80, est appelée à se remettre en question sans occulter les acquis pour passer à un palier supérieur de croissance et jouer pleinement son rôle dans le processus de développement. Quels sont les nouveaux enjeux dans le secteur agricole ? Quelles sont les faiblesses du secteur ? Comment les dépasser ? Quels sont les grands axes des réformes à introduire ? * 80% des exploitations ont une taille inférieure aux 20 ha * 75% des exploitants sont illettrés et 80% âgés de plus de 60 ans * Les prix ne sont pas ceux du marché * 40% de la croissance agricole se rapportent à des produits qui coûtent plus cher à produire qu'à importer Une étude, fruit d'une coopération entre la Tunisie, la Banque Mondiale et l'Agence Française de Développement, a été réalisée. Ses conclusions ont été présentées hier par les experts en présence d'un panel de hauts cadres du ministère de l'Agriculture et des Ressources hydrauliques, du ministère du Développement et de la Coopération internationale, d'universitaires et d'opérateurs. Pour M. Abderrazzak Daâloul, Secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Agriculture et des Ressources hydrauliques, cette étude est dictée par le souci « de donner une nouvelle impulsion au développement agricole en garantissant au secteur un environnement plus favorable et de meilleures conditions pour relever les nouveaux défis internes et externes. » Ces défis, le Secrétaire d'Etat les résume en « l'instabilité de la production largement dépendante des facteurs climatiques, la persistance de contraintes structurelles au niveau de certaines filières agro-alimentaires, l'inadéquation des systèmes de financement des activités agricoles, la vulnérabilité des ressources naturelles, la participation limitée des structures professionnelles aux efforts de développement et enfin, les problèmes fonciers et le vieillissement des exploitants agricoles ». 80% des exploitations ont une taille inférieure à 20 ha. 75% des exploitants sont illettrés et 80% ont un âge supérieur à 60 ans. Quant aux défis externes, ils sont générés par la poursuite de la libéralisation des marchés intérieurs conformément aux engagements du pays sur les plans arabe, euro-méditerranéen et international.
Des aménagements à introduire La revue globale du secteur comporte une évaluation de la politique de développement, l'identification des principales contraintes et des défis, les nouveaux axes de développement pour la décennie à venir et des propositions d'actions prioritaires à moyen et long termes. Les études préliminaires ont concerné certaines filières de production comme les céréales, les légumes et fruits, la pêche, l'huile d'olive et l'élevage et des aspects horizontaux comme le foncier agricole, la compétitivité, le financement de l'agriculture et les organisations professionnelles. Les principales conclusions de cette revue, dit M. Abderrazzak Daâloul, « ont montré que malgré les résultats encourageants enregistrés par le secteur agricole, certains aménagements peuvent être introduits au niveau des politiques menées par l'Etat afin de permettre au secteur d'exprimer le total de son potentiel pour les produits compétitifs et faire face aux défis. » Il ajoute « les solutions préconisées impliquent plus d'un intervenant et nécessitent pour leur mise en œuvre la collaboration de tous ». Ces solutions doivent s'intégrer dans le cadre des principes fondamentaux de développement du pays ne dissociant pas les dimensions économiques et sociales.
Sacrifices du consommateur De son côté M. Théodore Ahlers, Directeur pour les pays du Maghreb à la Banque Mondiale, a rappelé les performances de l'agriculture tunisienne. « Sa valeur ajoutée a augmenté de 3,5% par an en moyenne durant le neuvième et le dixième Plans. Les rendements ont augmenté de 2,8% par an, et un quart des nouveaux emplois du pays était dans l'agriculture entre 1997 et 2001». Toutefois certains faits sont source de préoccupation, pour le Directeur à la Banque mondiale. Il considère qu'il « n'y a pas eu d'augmentation dans la productivité moyenne de la main d'œuvre ; le montant moyen par travailleur était de 2500 dollars en 2004, comme en 1992. » Un autre élément très important : il affirme qu'une « grande part de la réussite de l'agriculture se doit aux sacrifices du consommateur tunisien et du contribuable tunisien. La protection commerciale maintient les prix alimentaires à un prix élevé, et équivaut à une augmentation de 4% du coût de la vie. Les contribuables doivent payer 170 millions de dinars tunisiens par an pour la compensation des prix dont la plupart sont destinés aux agriculteurs ayant de grosses exploitations. Il en coûte quatre fois le PIB par habitant pour préserver un emploi dans les cultures céréalières au moyen de la protection des échanges et du soutien des prix. » Quant à la croissance de l'agriculture, il considère qu'elle est faussée. « Elle ne suit pas la compétitivité du pays. 40% de la croissance agricole se rapportent à des produits qui coûtent plus cher à produire qu'à importer... Dans le même temps, les exportations de la Tunisie de ses fruits et légumes compétitifs ont baissé en valeur de 0,3%».
Quelles sont les réformes à introduire ? Sur l'ensemble des réformes à introduire, Théodore Ahlers, en privilégie deux. « La première réforme consiste à éliminer les distorsions du marché qui pénalisent l'agriculture et les exportations de haute valeur ajoutée ».Il appelle à « baisser les tarifs sur les importations agricoles et à mettre fin aux contrôle des marges de détail, aux contrôle des prix semi - officiels et aux programmes ad hoc d'importations ». Il s'interroge comment la Tunisie peut - elle utiliser son quota d'agrumes avec l'UE quand les oranges coûtent autant à Tunis qu'à Londres ? Comment la Tunisie peut - elle développer son industrie des conserves alimentaires quand, par exemple, les fabricants tunisiens de purée de tomates payent plus pour les tomates crues que leurs concurrents en Italie, en Espagne, au Portugal et en Turquie ? » Pour aider les petits agriculteurs, il préfère les transferts en espèces au soutien des prix. Le deuxième axe de réforme est « de rendre les services agricoles plus responsables par rapport aux exploitants et aux entrepreneurs. Les regroupements de producteurs doivent être véritablement autonomes. Ils doivent s'impliquer dans la gestion des services tels que la recherche et la vulgarisation ». Sans ces deux réformes, dira - t - il, toutes les autres peuvent échouer.
Hassine BOUAZRA
Badr Ben Ammar : « Le schéma de financement est inversé » Depuis le milieu des années quatre vingt l'agriculture tunisienne a réalisé des résultats performants, dont la garantie d'une sécurité alimentaire nationale durable. Selon la définition de la FAO de la sécurité alimentaire, celle - ci consiste en la fourniture de façon durable d'aliments à une population ayant suffisamment de revenus pour y accéder tout en faisant de sorte que ce soit basé sur les produits nationaux. Aujourd'hui, la balance alimentaire est bénéficiaire, pour la troisième année consécutive. L'agriculture n'a pas cessé de capter les investissements qui représentent 11% des investissements globaux. Quant aux emplois, ils représentent 16% de la population active. Concernant les organisations professionnelles beaucoup de travail a été fait. La marge de manœuvre reste importante. Le système de crédit et de financement est inversé. Dans l'agriculture, l'auto-financement est de 70%. Les aides de l'Etat et le crédit représentent 30%. C'est le contraire des schémas de financement dans l'industrie.