- Pourra-t-on vraiment faire vivre sa famille si l'on casque 40% de son salaire brut, sinon plus, aux remboursements des divers prêts ? Pour financer l'achat d'un logement, ou l'édification d'une construction, un couple d'employés doit bénéficier auprès des organismes financiers de prêts dont les remboursements absorbent près de 40% de ses revenus bruts durant une période allant de 13 à 25 ans. Ce couple est ainsi assujetti à une compression budgétaire, à long terme, qui influe sur la manière avec laquelle il subvient au reste de ses besoins vitaux, y compris l'éducation de ses enfants. Autant de supplice « à perpétuité » pour cet objectif « habitat » est-il vraiment justifié ?
La quiétude C'est le justificatif que l'on ne cesse de faire miroiter pour expliquer les diverses acrobaties sur la route de l'acquisition de « Kbar El Hayat ». Les Tunisiens assimilent en effet l'acquisition d'un logement par un vivant à celui d'un tombeau pour un mort. Au repos éternel des décédés, ils opposent la quiétude des vivants. Ce souci de propriété a intégré les traditions et est devenu la condition de stabilité. Etre propriétaire, c'est l'un des principaux critères de réussite dans la vie. C'est un atout exigé pour le bon parti dans les alliances matrimoniales. Et c'est aussi un signal pour repérer un héritier convoité de toutes parts.
Les moyens Pour ceux à qui la chance a souri, par héritage ou par alliance, le problème ne se pose donc pas. Pour les autres, tout un chemin est à parcourir pour obtenir ce logis tant convoité. Le principal handicap a toujours été les moyens et la principale problématique, c'est comment parvenir, avec les moyens de bord, à obtenir un logement qui sied avec le standing du couple en question. En effet, un médecin, un juge, un directeur d'administration centrale, ou encore un professeur universitaire etc... On les voit mal habiter une cité populaire. Leurs enfants se considèrent les fils des hauts cadres de l'Etat et ces catégories sociales sont censées appartenir à la classe aisée. Mais, ont-ils vraiment les moyens de leurs prétentions ? Peuvent-ils habiter des coins huppés et faire vivre leurs familles à un standing relevé ?
L'état des lieux Les logements à Ennasr, El Manar, Les Berges du Lac, ou encore La Soukra,etc.. valent près de cent mille dinars, l'habitation de cent mètres carrés, sinon plus. Ce logement de 100 m2, c'est un 3+S. Il s'agit donc d'un appartement de moyenne grandeur, mais d'un haut standing. Les logis plus grands nécessitent des investissements de près de 150.000 dinars, sinon plus. Or, pour obtenir une telle somme auprès du système bancaire, il est nécessaire d'avoir des revenus mensuels de près de 2000 dinars d'une part et ils entraînent des retenues avoisinant 1000 dinars par mois, sinon plus, si la durée de remboursement ne dépasse pas 15 ans, d'autre part. Ceci pour les cités de haut standing, quant aux cités du logement économique, le même 3+S s'échange à un prix dans la fourchette de 50.000 à 75.000 dinars. Mais, une telle somme ne peut être empruntée que pour des revenus mensuels de l'ordre de 1200 dinars. Les retenues mensuelles varieraient entre 400 et 700 dinars suivant la durée du remboursement et l'éventualité d'une épargne de logement qui influe sur le taux d'intérêt avec lequel le prêt est accordé.
Que reste t-il ? Le système bancaire permet donc d'accéder à une multitude de prêts pour obtenir des logements. Ces facilités s'expliquent même par les soucis du système bancaire de rentrer dans ses investissements accordés aux promoteurs. Mais, que reste t-il à ces familles-là pour affronter la vie et faire vivre leurs enfants ? Pratiquement, la moitié des revenus est grignotée par les remboursements. L'autre moitié est appelée à couvrir les frais de la nourriture, de la santé, du transport, de l'habillement, des études et des loisirs de ces familles. Même si l'on s'adapte à la friperie et si l'on s'accommode aux moindres frais de distraction, tout semble indiquer que c'est plutôt des frais de l'habitat qu'il faut grignoter. On ne pourrait rester prisonnier toute la vie du désir d'habiter le haut standing. Il n'empêche qu'il faudrait réfléchir à héberger les Tunisiens à un moindre coût. Mourad SELLAMI
*** Trois questions à Mustapha Boudokhane, architecte : « Il faudrait penser à des villages satellites, les coûts seraient plus abordables. »
Le Temps : Les habitants disent que les prix d'achat des logements ne sont pas abordables, que pensez-vous ? Mustapha Boudokhane : C'est une question relative aux moyens des acheteurs potentiels. Les terres deviennent de plus en plus rares. Le standing du revêtement se paie aussi. Un bon logement, dans un périmètre huppé, est très coûteux. Mais, tant que la demande existe, les promoteurs continuent à investir. C'est ce qui explique cette flambée relative de l'habitat qui est toutefois due principalement à la rareté des terres habitables.
. Comment explique t-on le fait que les villas reviennent moins chères que les appartements ? - Ceci est logique du moment que l'habitat vertical répond à des règles strictes qui commencent par les études géologiques du sol, le respect de toutes les phases et les conditions techniques du projet. Il y a réception par un bureau technique après chaque phase. Il y a des agréments des PTT, de l'ONAS, de l'équipement... Rien n'est laissé au hasard. Et puis, il y a la réception définitive. Sans oublier les frais financiers et les bénéfices.
. Est-ce-qu'il y a des solutions pour réduire les coûts ? - Eventuellement ! Il faudrait penser à créer des villages satellites aux bords des grandes villes. Là où les terrains sont encore à prix accessible. C'est la solution préconisée par d'autres pays et elle a démontré son efficacité sur les coûts de l'habitat.