Une sortie de contrôle habituelle de l'Association de Sauvegarde de l'Île ce 17 mars. Une opération ordinaire pour faire un état des lieux, relever les éventuels dépotoirs clandestins, constater les atteintes au patrimoine environnemental, architectural, ou historique. Et là l'équipe découvre l'horreur, par le plus grand des hasards : des profanations monstrueuses des mosquées Sidi Daoud et M'Rabet Abi Kacem. Ils apprendront que Jamaa El Hara à Oursyghen a subi le même sort. C'est la troisième fois en quelques années !!! Une malédiction sur ces lieux ou des opérations « commandos » cycliques, où on cible chaque fois une partie de l'île pour y effectuer des fouilles de cette nature, dans les salles de prières, sous les catafalques ?? Deux des mosquées profanées se trouvent à 7 kilomètres au sud de Houmt-Souk, vers Midoun, grand axe routier. Elles sont presque visibles de la route. Prendre à gauche la piste qui est juste à côté de l'huilerie. De suite, à travers les troncs torturés des vieux oliviers apparaît d'abord La Mosquée M 'rabet Abi Kacem. Elle a été très bien restaurée en 96 par l'ASSIDJE et l'INP. .Deux petits cubes, indépendants, surmontés chacun d'une magnifique coupole ovoïde, une chambrette extérieure, voûtes aplaties et arcades, servait de lieu de réunion, d'études et de prière les beaux jours. Le tout entouré d'un muret en serpent. Rien de carré, ni de tranchant. Tout est harmonie, plénitude, sérénité, en ce printemps. Un lieu qui appelle de suite à la contemplation et la méditation. L'une des rares avec catafalque en parfaite conservation, couvrant la tombe, et qu'on vient visiter dans cette région ibadhite. Plus Zaouia et lieu de prière que Mosquée à proprement parler, posée au bord d'une piste menant vers Mazraya. C'est là que les vandales ont choisi de creuser. Trois excavations profondes à l'intérieur de cette petite mosquée, qui nécessitent du temps pour les faire, du matériel, une surveillance extérieure certainement. Par hasard ou par calcul, la position des trous faits est bizarre : aussi bien à l'extérieur de la construction, vers le mur d'enceinte, qu'à l'intérieur même. L'un pratiquement dans le Mihrab ( !!) et l'autre à un angle précis par rapport au premier, dans la salle des prières, pratiquement à droite de la porte d'entrée, juste dans le recoin. Des fouilleurs encore à la recherche de trésors ou des apprentis sorciers, en manque de matière première pour de magie noire, puisque le catafalque a été retourné, déplacé, et la tombe supposée être celle du fondateur de cette mosquée, M'rabet Abi Kacem, a été profanée, très sérieusement endommagée et très méticuleusement « fouillée » !!! A quelques centaines de mètres de là, bien visible si on prend la peine de se baisser et de regarder à travers les oliviers, la Mosquée Beni Daoud. Une autre structure architecturale, un autre espace, un autre symbole. Programmée pour être restaurée par l'Association de Sauvegarde et l'INP l'année prochaine. Les devis sont faits et les financements pratiquement prêts. Elle est connue dans le coin sous l'appellation Mihrab Louata, du nom d'une vieille tribu très citée dans l'histoire de Djerba, c'est dire son importance historique. Ancienne Méderssa, c'était l'endroit où le Cheikh Salem Ben Yagoub, l'un des derniers érudits ibadhites de l'île dispensait son savoir. Avec l'exode vers les villes, l'abandon des menzels environnants, il continuait d'y venir, avec son compagnon et ami le Cheikh Gacem Gouja, pour des veillées éducatives, jusqu'à la fin des années soixante-dix. L'état d'abandon de cette petite merveille vieille de plus de 900 ans est révoltant. Actuellement la salle des prières, une des plus belles, avec des textes gravés au plafond sur l'enduit des voûtes, est transformée en bergerie, eh oui ( !!), où s'accumulent des déchets et de crottes de chèvres sur plus de 30 cms d'épaisseur !!! Des strates. Une puanteur.....Bizarre cet état de fait, alors que des habitations sont à quelques dizaines de mètres, que pas très loin, il y a des demeures huppées de notables. Impossible de ne pas remarquer la littérature obscène qui polluent les murs. La troisième Mosquée visitée est Jamaa El Hara, entre Cédouikech et El Kantara, à Oursyghen exactement. Complètement isolé, et pratiquement en ruine, ce site a été, lui aussi, restauré et remis en état il n'y a pas si longtemps encore, par l'INP, pour son importance historique, comme lieu d'éducation scientifique, théologique, et jouant son rôle de poste militaire dans une région stratégique où eurent lieu beaucoup de combats. C'est peut-être pour cela, que lui aussi n'a pas échappé aux profanateurs. La même technique opératoire : creuser à l'intérieur de la salle des prières, à des endroits précis, sous l'une des colonnes, comme si les vandales suivaient des indications fournies par une carte. Des excavations vertigineuses, preuve que ces individus étaient trop bien outillés, et avaient tout leur temps. Ils ont même laissé dans les trous des pelles et une bêche.....
Passivité complice Depuis, les autorités locales ont muré les portes de toutes ces mosquées profanées. Dans quel but ? Empêcher les vandales de revenir ? Ce ne sont pas quelques briques posées à la hâte qui vont les arrêter, mais ils iront ailleurs, ces endroits visités et fouillés ne les intéressent plus, pour le moment. Soustraire le spectacle des déprédations à la vue du citoyen ?? Murer pour ne pas laisser photographier les saccages et les faire connaître ?? Mais que faire alors des centaines d'odieux graffitis qui s'étalent sur les murs de ces monuments à l'abandon ?? En quelques années, Djerba devint la cible privilégiée de ces bandes organisées. Est-ce les innombrables zaouia, l'infinité des mosquées, des lieux de prière, des méderssa, l'histoire chargée de l'île avec tous les envahisseurs qui y ont pris pied, sa position stratégique dans ce coin de la Méditerranée qui en fit une halte incontournable, ses rapports avec la flibuste espagnole et ottomane, qui ont fait naître cette croyance que ce bout de terre est truffé de trésors ?? Il est vrai qu'il y a là des tombes phéniciennes, carthaginoises, romaines, byzantines, espagnoles, turques, pour ne citer que celles-là, disséminées partout, des dizaines de souterrains, des citernes enterrées, oubliées. Y-a-t-il meilleure place pour enfouir ces supposés trésors que ces lieux sensés être les plus sûrs, parce que sacrés ?? Ailleurs aussi. L'année dernière, dans un lieu dit Sayada, à 50 kms au sud de Sfax, toutes les oliveraies dans un rayon de cinq kilomètres ont été le théâtre de fouilles sauvages. Là où le terrain s'élevait un peu et laissait apparaître des pierres calcaires, on trouvait inévitablement un trou, parfaitement cylindrique, parfaitement nettoyé, pratiquement au pinceau d'archéologue..... A voir toutes les publicités fleurir sur des feuilles de chou, qui vantent les capacités de tel « guérisseur », de tel devin, tel voyant, photo et qualificatif de « professeur » ou/et « haj » à l'appui, capables de faire des miracles, membre de telle nébuleuse parapsychologique maghrébine ou arabe, pouvant consulter par téléphone, mail et même SMS, on comprend qu'une certaine opinion tombe sous le charme de ces charlatans et que l'idée « de trouver des trésors » germe dans beaucoup d'esprits. Le risque de voir des jeunes embarqués vers des idéologies obscurantistes à travers ces croyances et ces façons de faire n'est pas à négliger. Là aussi, il est nécessaire de donner un coup de balai sérieux dans tout cela et appliquer la loi. Comment expliquer, en effet, que par les temps qui courent, quand on connaît la région que des bandes circulent ainsi, de nuit et de jour, bien outillées, ayant le temps pour creuser des excavations de cette ampleur à quelques centaines de mètres de cette autoroute menant à Midoun, sans attirer l'attention ??