Quelque part dans une rue de ma ville, un spectacle désolant... Elle était haute comme trois pommes, et sa maman la tenait par la main. Une précision, sa maman était voilée. Ce n'est qu'un petit détail ; cela importe peu, et après tout cela ne la regarde qu'elle. Mais juste à côté d'elle, sa réplique en miniature, avec un voile blanc, qui accentuait l'innocence du visage. Ce n'était pas un voile de fée. Un voile pour jouer. C'était un voile qui lui mangeait le visage, qui descendait sur son cou, et qui traînait presque par terre. Car elle n'était pas plus haute que trois pommes. Elle babillait tranquillement, inconsciente de l'onde de choc que son accoutrement suscitait sur les passants ; mais elle était déjà une prisonnière, qui ne voyait pas encore les barreaux de sa prison. Et c'était comme si son enfance partait très vite en fuyant, que le rêve l'abandonnait, comme son innocence bafouée, par la bêtise des grands. A se demander si sa maman, sauf le respect qu'on lui doit, garde toute sa raison. Alors on imagine l'accueil de l'enfant à la crèche, et plus tard à l'école, et la gravité de ce moment où le regard des autres sur elle, sur son accoutrement, commencera de peser de tout son poids, jusqu'à ce qu'elle en souffre, sans pouvoir mettre encore des mots sur sa souffrance. Peut-être demandera-t-elle à sa maman de lui laisser ôter ce voile qui lui fait honte. Et peut-être que sa maman, qui ne lui a certainement pas demandé son avis pour lui enserrer la tête avec, refusera de comprendre la souffrance de sa petite fille, et la condamnera à porter très tôt, une croix très lourde, trop lourde pour une enfant. Car ce spectacle était vraiment désolant. Elle devait avoir deux ou trois ans. Pourquoi ne pas la laisser décider plus tard, quand elle sera adulte à son tour, de mettre le voile si elle en éprouve la nécessité en son âme et conscience ? Pourquoi la condamner d'avance à la marginalité, au poids insupportable du regard des autres enfants sur sa différence d'accoutrement, lui ôtant le droit de grandir dans l'insouciance de son âge ? A mon humble avis, cette enfant-là, une fois grandie, et au moment même où elle en aura la pleine conscience, mettra les voiles... Et elle aura raison.