Il ne va pas être possible d'évaluer l'étendue des dégâts en Birmanie. Les généraux au pouvoir veulent garder jalousement les secrets qui leur servent de garantie tous risques. La catastrophe récente n'est pas de leur fait : les éléments déchaînés ne font pas dans le détail et ne regardent pas à la qualité équivoque des gouvernants. Les mêmes colères de Dame nature semblent même se multiplier pour prouver que personne n'est à l'abri. Aux Etats-Unis comme en Chine, des régions et des Etats sont dévastés et traités comme fétu de paille sans que l'annonce qui en est faite soit un motif de honte suffisant pour soustraire les victimes au regard d'un monde supposé inquisiteur. Forcément inquisiteur. A moins bien sûr d'avoir des choses à cacher. La hantise du secret n'est pas une nouvelle manière de gouverner. Depuis toujours, les pratiques du verrouillage ont tenu lieu de politique et de stratégie politique pour tous ceux qui confondent bien public et droit de vie et de mort sur les populations soumises. En Birmanie, le constat ne relève pas vraiment de la nouveauté, sauf qu'on en arrive à une situation ubuesque que seul un cynisme permettrait, et encore, d'expliquer. Au moment où les morts et les disparus se comptent par dizaines de milliers, les généraux de Rangoon exhibent un air de fête pour célébrer ce qu'ils considèrent comme un acquis supplémentaire sur la voie de l'embrigadement collectif d'une population coupée du monde. A Rangoon et dans ce qui a heureusement échappé à la colère des éléments, il n'est en effet question que de faire réussir un simulacre de référendum qui doit permettre de boucler la boucle qui achève de construire l'état de non droit. La compatriote prix Nobel de la paix n'a plus que les larmes du corps à verser pour constater la surdité des dirigeants birmans enfermés dans leur bulle et contraints à la fuite en avant, à moins de se préparer à une sortie tumultueuse. D'ailleurs, parler de référendum est encore une violence faite aux mots, et donc au birman citoyen dont on enfonce encore plus la tête dans la boue que les pluies tropicales ont généré après le déluge. La réponse à laquestion posée par le scrutin est connue par anticipation, elle est unanime et elle ne fait que confirmer l'ordre établi des choses. La Birmanie est un cas d'école, mais elle n'est pas la seule à émarger au club des « référendistes » invétérés et unanimement applaudis.
Circulez, rien à cirer Dans cette école du cynisme obligatoirement froid, on sait aussi être magnanime. Ainsi, et en vertu d'un élan exceptionnel, les sinistrés se voient accorder des délais supplémentaires pour dire oui. Les généraux consentent à leur laisser le temps de remettre en état des urnes en brindilles laissées par le passage du typhon, pour effectuer leur devoir. Les dictatures ne changent pas de cap, elles capitalisent les mérites illusoires du capitaine. On l'a vu quand les généraux birmans de deuxième rang ont, preuve indélébile de générosité, distribué les aides fournies par des humanitaires après avoir imprimé leur nom sur les maigres objets de secours. Il n'est en effet pas question de laisser croire que la junte avait laissé un quelconque détail au hasard, encore moins à l'initiative d'étrangers développant une curieuse théorie sur l'humain et sur le droit à une vie digne. Il y a à parier que de grandes festivités sont prévues pour dire combien le référendum fut l'occasion d'exprimer la reconnaissance éternelle à des dirigeants birmans auréolés de leurs bienfaits anciens, actuels et futurs. Des télégrammes de remerciements vont fuser de toutes parts, en particulier des survivants des régions sinistrées heureux d'avoir tout perdu mais d'avoir gagné le bonheur incommensurable d'avoir mérité de leurs généraux dirigeants exceptionnels. A Rangoon, comme dans beaucoup d'autres prisons à ciel ouvert, les fêtes sont torrides.