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Ferveur et liesse
Pèlerinage de La Ghriba 2008
Publié dans Le Temps le 25 - 05 - 2008

Penser que le pèlerinage annuel de La Ghriba n'est qu'un rituel teinté de beaucoup de folklore local fait autour de cette synagogue, l'une des plus vieilles au monde, sinon la plus vieille, c'est se tromper lourdement sur le sens profond de cette cérémonie. C'est oublier que toute fête juive est un rappel permanent aux faits marquants de l'histoire du judaïsme, c'est un retour constant vers la mémoire.
La « Ziara » de La Ghriba s'inscrit dans cette démarche. En fait, le 18 du mois de Iyar, jour du pèlerinage, survient 33 jours après Pessah, qui correspond au 16 du mois de Nissan. C'est l'évocation d'une épidémie qui fit des ravages, et qui extermina la quasi-totalité des 24000 étudiants d'une grande école rabbinique, qui ne cessa qu'après 33 jours de jeûne et de prières, qui s'arrêta justement le jour anniversaire de la mort du Maître Shimon Bar Yohaï, le jour de Lag Baomer.
Ce jour-là est devenu symbolique : c'est la fin de cette tragédie, le bout du tunnel. On le célèbre par une « Hiloula », des chants, des prières, des louanges, puis les joies, l'allégresse de la fête, à n'en plus finir. C'est un péché absolu que d'être affligé, abattu, accablé, attristé. Boire, manger, chanter et danser avant tout. Il faut transformer, ce jour-là, la commémoration de la mort d'un personnage d'importance religieuse ( un Rebbi, un Sage, un Kabbaliste, un commentateur d'un livre saint, etc), en réjouissances sans fin, en festin, en agapes. Le sacré pour mieux goûter au profane.
Ce jour de Lag Baomer, est aussi l'occasion de fête, un peu partout dans le monde, essentiellement chez les sépharades. Ainsi, il y a pèlerinage et réjouissances à Wezzan au Maroc, là où se trouve la tombe de Rebbi Ben Diwane. En Algérie, à Tlemcen où est enterré le Rebbi Iphraïm Anqawa. A Dminher, en Egypte pour fêter le Rebbi Yacoub Abishara, et à Tabariya, en Israel, pour Rebbi Meir, le grand Kabbaliste. Mais c'est le pèlerinage de la Ghriba qui est le plus connu, le plus célèbre, et qui draine le plus de monde.
Des bruits en sourdine laissent présager un afflux record : entre 5000 et 8000 pèlerins cette année, personne pour donner une statistique fiable. Une bonne cuvée, quand on connaît les soubresauts en Méditerranée. Beaucoup sont à Tunis depuis une bonne semaine déjà : des excursions sont organisées vers Sousse, Nabeul, Sfax, pour permettre à certains de « retrouver » des endroits, des demeures, des écoles, des magasins, des ateliers, qu'ils n'ont pas vus depuis un bout de temps, quelques dizaines d'années, pour certains..
Une émotion présente partout, selon ceux qui ont accompagné quelques groupes. La grande majorité, presque 4000, vient de France, les autres d'un peu partout, d'Allemagne accompagnés du Grand Rabbin de Berlin, venu avec une importante délégation, d'Italie, du Canada, et un bon millier d'Israel, sinon plus. Des rumeurs tenaces ont circulé à Tunis, mardi et mercredi, « dans les milieux autorisés » et chez certains VIP locaux, de l'éventuelle visite surprise du Président Sarkozy accompagné de sa mère......
Le service de sécurité mis en place pour l'occasion est impressionnant : renforts, hélicoptères, check-point avec fouilles systématiques et très poussées de toutes les voitures arrivant sur l'île, contrôles aux abords de Djerba, portique magnétique devant les hôtels, etc. Même si cela crée quelques désagréments pour les usagers habituels de ces routes, ils se plient aux contrôles avec compréhension.
Une quinzaine d'hôtels ont été réservés, pour tout ce monde, et fournissent une alimentation « casher ». Même si tous ne mangent pas selon les règles rituelles, les organisateurs, tours opérators et autres, préfèrent ainsi éviter toute note discordante.
Mais tous ne viennent pas pour le pèlerinage : accompagner des parents ou des amis, profiter de ces moments de retrouvailles pour festoyer, découvrir le désert, faire des excursions en mer. Des vacances originales.

Une culture millénaire
De partout, de jeunes rabbins viennent s'imprégner, découvrir ce lieu, ancré définitivement en cette terre : La Ghriba, mythique pour beaucoup, avec ses vieux rouleaux de la Thora , ses ex-votos, en or et en argent, l'omniprésence de l'œil, du poisson et de la Khomsa : on oublie trop vite que c'est un symbole culturel partagé. On médite devant la petite grotte où on vient placer des œufs pour une fertilité qui tarde, une demande pour amener un bon parti à une fille qui commence à avancer en âge, bénir une alliance entre familles ou une association en affaires. Chercher la « baraka » du lieu, avant tout. Peu savent aussi, qu'il existe encore aujourd'hui à Djerba une douzaine de synagogues, toujours actives, dont onze pour la seule Hara Sghira !!
Ce que beaucoup prennent pour un folklore désuet, « typique », comme aiment dire certaines catégories de touristes, est l'expression d'une culture millénaire : on fait sortir « l'Aâroussa », (ou la « Ménara »), enveloppée de foulards vendus aux enchères dans la cour de l'un des caravansérails repeint à neuf. A qui reviendra l'honneur de « sortir » la Mnara du caravansérail ? A celui qui a remporté les dernières enchères, et elles volent haut. Petit tour dans les ruelles de la Hara Sghira, suivie et entourée de tous ceux qui cherchent plus de grâce. Darbouka, chants durant tout le parcours. Une fois la Ménara revenue de sa promenade, entourée de femmes et de you-you, rentrée dans la grande salle de la synagogue, vient le tour des discours officiels protocolaires de bienvenue et de souhaits. Prières et bénédictions aussi. On fait goûter ensuite aux invités de marque une petite collation, quelques boissons de convenance, des photos souvenirs avec quelques officiels, faites à la hâte.... « pour accrocher au mur d'un restaurant, à Paris ».
Pour les tenants de la tradition, ces débordements, ne sont pas trop bien vus. Ils rappellent, qu'il n'y a pas longtemps encore, chaque famille avait sa Ménara, qu'on s'empressait d'enluminer, entourée de cierges, et on allait la déposer à la Synagogue de Hara Kébira, au retour du pèlerinage. Certains parlent de « commercialisation » trop poussée du produit « Pèlerinage » depuis quelques années : on pense aux retombées financières d'abord. Ils rappellent aussi, que durant les 33 jours qui séparent Pessah de Lag Baomer, période de deuil normalement, les mariages sont interdits, qu'il n'y a pas de réjouissances et que certains ne se rasent même pas.
Et la fête a commencé déjà depuis un bon moment. Les briks, « les meilleures du monde », se mangent brûlantes, mais un peu chères quand même. L'odeur de la soupe de févettes vertes au cumin, le fumet des grillades, embaument l'air. On vous propose de la bonne boukha locale, dont la distillation est « tolérée » ici, qui se marie aussi bien avec les amandes vertes, toutes nouvelles, qu'avec la boutargue de mulet, couleur miel, protégée d'une fine pellicule de cire. La ruée. C'est là où viennent s'approvisionner tous ceux qui aiment ces produits. Ils en prennent pour l'année et pour les amis. Quoi de meilleur à offrir ??
Dans les cours des caravansérails, dans les couloirs, la fête, la danse. Ferveur et liesse sont indissociables. Pour ne pas faillir à la tradition, Yacoub B'Chiri est là avec toute sa gouaille.. Il était alité, il a tenu à être là et animer cette fête. Il y a aussi Houri Kaddoura, originaire de Médenine, et il vient là chaque année. Il a même entonné un solo de bienvenue à Mr Khelil Ajimi, Ministre du Tourisme. Un chanteur yéménite, la veille, mercredi, sur la place Ben Daamech, a enthousiasmé les clients présents en interprétant, à capella, une très difficile chanson de M. Abdewahab. Le soir, dans pratiquement chaque hôtel, une soirée dansante est prévue, animée par des orchestres reprenant le répertoire traditionnel tunisien. La palme revient à Yves Azria et son équipe, qui ont prévu les meilleurs programmes et animations pour leurs clients.
On se hèle, on se retrouve, on échange des souvenirs, on boit, on mange. On partage des glibettes bien salées, on en consomme des dizaines de kilos, on croque des gâteaux secs, on fait goûter la « doriïya », petite galette de sorgho parfumée à l'anis vert, une saveur exquise. Se poser n'importe où, et prendre la peine de siroter une citronnade du jour. Musique : tout le répertoire local y passe. Le spectacle est dans la cour. Danse du ventre comme ça vient. De la vraie bouffe, des gosses qui courent dans tous les sens. Jour de liberté. Des regards échangés de loin : à Djerba, les fiancés n'ont pas le droit de se rencontrer avant le mariage.

Lieu de toutes les rencontres
Un monde hétéroclite, où on voit de suite la différence entre les « indigènes » vissés à leur terre,inamovibles, ceux qui vivent en Europe, qui reviennent pour les occasions de fête, et ceux qui sont partis très jeunes, qu'on reconnaît au look, au langage, au comportement très différents des locaux. Quatre ou cinq dames âgées, en sefsari blanc, coiffe rouge sang enserrant la tête, la célèbre coiffe des juives djerbiennes qu'on voit sur certains tableaux de peinture. Certainement les dernières à en porter.... Les temps changent vite....On reconnaît quelques visages, Youda B'Chiri et ses enfants, Khammouss, dit « le Rouge », ex-gloire de l'ASD et redoutable joueur de dominos, Sandra Kabla, jeune avocate installée à Paris, « venant faire connaître son pays à son mari », Alex Haddad toujours aussi heureux et souriant, Mme Françoise El Kar, Consul Honoraire de France à Djerba, Gozlan Azria « le gabésien », qui fait beaucoup pour maintenir des liens solides avec le pays natal et qui a redonné vie à la Ziara du Sayed Youssef El Mourabi d'El Hamma, Yetzkin, chargé des relations de la communauté avec les chancelleries, tiré à quatre épingles et aussi volubile que d'habitude, Guichi, lui aussi ex-star de l'ASD, un des meilleurs restaurateurs parisiens, et toutes ces jeunes femmes, avec enfants, qu'on a eues comme élèves il y a quelques années.
Etonnement des uns qui se rendent compte qu'ici, sur cette terre, on vit ensemble, y compris dans ces cérémonies, qu'on parle la même langue. « Ils se sentent bien ici » me dit un visiteur autrichien, qui ne comprend pas encore qu'« ils » sont chez eux, et non pas de « passage » !! Un rassemblement peu commun ailleurs. Pas de slogans creux, agités pour la circonstance. Mais seulement faire la fête dans une ambiance très sereine.


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