Homme de théâtre et de culture, Lassaâd Ben Abdallah, qui reste égal à lui-même - depuis le temps qu'on l'a connu - nous a fait partager ses expériences au fil des années, la dernière en date, celle des 24 heures du théâtre non-stop au Kef. Nommé récemment à la tête du festival d'Hammamet, il a bien voulu répondre à nos questions en attendant la conférence de presse qu'il donnera, d'ici la fin du mois, pour présenter aux médias, son programme 2008.
Le Temps : Quelles que soient la vocation et la dimension d'un festival, la responsabilité d'un directeur de festival est de taille puisqu'il doit faire face à un public, le plus souvent exigeant et averti quant au choix d'une liste de têtes d'affiches. Qu'en pensez-vous ? Lassaâd Ben Abdallah : On sait qu'il y a des milliers de programmations possibles mais l'écoute du public est à mon avis très importante. Notre mission majeure consiste à réfléchir tout d'abord, l'identité d'un festival car une programmation n'est pas une accumulation de spectacles. Il faudrait que les festivals se démarquent les uns par rapport aux autres pour apporter le plus escompté. Autrement dit, réfléchir l'identité et la spécificité d'un festival tout en étant à l'écoute de son public.
• Quels sont les critères majeurs sur lesquels vous vous basez pour convaincre le public à venir nombreux ? Surtout une politique de communication sur laquelle on se base pour faire parvenir l'information au public. Nous passons par les médias et appliquons le système d'affichage et de publicité tout en expliquant nos motivations et présentant nos arguments. Car, il est important de présenter une ligne directrice en montrant pourquoi ceci et pas cela ?
• Comment préserver l'image de marque d'un festival, rester fidèle à sa vocation tout en essayant d'insuffler un nouveau souffle au goût du temps ? Je pense qu'il faut travailler sur l'image de marque d'un festival. Le festival de Hammamet s'est imposé depuis 1962, une image de marque en interaction avec le théâtre. Il faut maintenir ce cap de valeurs et de culture. Ne pas laisser le spectateur anonyme dans un lieu festif et convivial comme celui de Hammamet, puisqu'il s'agit d'un espace particulier - et non une salle conventionnelle - où les échanges avec les spectateurs sont possibles. Je dirai aussi qu'il faudrait donner et développer une image à l'air du temps tout en étant à l'écoute de son environnement immédiat et aux nouvelles tendances des arts de la fête. J'ajouterai enfin qu'il faut trouver le juste équilibre entre le fondamental et l'innovation.
• Quels sont les facteurs importants pour le succès d'un festival ? Il ne s'agit nullement d'un miracle ! A mon avis, les facteurs importants seraient : une bonne programmation thématisée et non un fourre-tout ; avoir des idées conductrices et faire adhérer à ce festival, des sympathisants et des fidèles. Enfin, en tenir le public informé et parvenir à réaliser l'équilibre entre l'artistique et l'économique.
• Avez-vous des défis à relever ? Je n'ai pas de défis ! Mais des expériences aussi riches que variées que j'ai vécues au fil des années dans ma mission au Kef et actuellement à Hammamet. Je pense que les expériences diffèrent d'un milieu à l'autre et on ne peut pas comparer l'incomparable. Par conséquent, l'homme est le même, mais la prise de vue change car cela dépend de quel côté on voit les choses. Je pense que ce sont les mêmes défis que ceux des directeurs des festivals ; drainer le maximum de spectateurs, avoir une bonne critique, réaliser un bon équilibre car il ne faut pas occulter le baromètre économique. Enfin, faire naître des sensations nouvelles et des moments d'un apport culturel et artistique important.
• Peut-on éviter l'improvisation et les surprises de dernière minute ? Parfois, il y a des situations qui ne dépendent pas de nous. Des choses qui arrivent dans des conditions non maîtrisables et indépendamment à notre volonté. Je dirai que gérer l'imprévu, fait partie du jeu.
• Peut-on reléguer au second plan l'objectif mercantile sachant qu'un festival est avant tout à caractère culturel et de rencontre ? Je déteste le terme "mercantile", je trouve que c'est péjoratif ! Un festival est à 80% subventionné mais cela n'empêche que nous restons à la recherche de sponsors et d'échange de partenariat. Nous ne sommes pas des privés qui cherchent à se faire de l'argent et puis le côté "mercantile" - comme vous l'appelez - n'est pas notre objectif.
• La question du financement, constitue-t-elle le principal obstacle à vos objectifs ? On doit faire la politique de ses moyens et travailler avec ce qu'on a. Que ce soit d'un point de vue économique ou autre, il faut aller vers des produits qui vont avec les moyens du bord et qui répondent aux objectifs fixés. Donc, il ne faut pas se leurrer sur la question des super-stars ; il faut d'abord se poser la question, si cela vaut le coup ?
• Un comité d'organisation peut-il fléchir devant les conditions exigées par quelques sponsors, ce qui peut influer d'une manière ou d'une autre sur la bonne marche d'un festival ? Cela dépend de la personnalité du comité directeur et de ce qu'il entend faire de son festival car il faut savoir ce qu'on veut ! Je ne cesserai jamais de dire qu'il est important d'expliquer l'identité de son festival avec ses partenaires économiques, tout en définissant ce qu'est un partenariat et un soutien à la culture. Car, ce n'est pas uniquement une question d'argent.
• La prochaine session du festival d'Hammamet, sera, selon vos dires, marquante et thématique. Pourriez-vous nous en dire davantage ? Je veux dire par "marquante" ; une session qui laissera quelque chose dans la tête du public en lui procurant de l'émotion... mais pour le moment, je ne sais pas encore quel serait l'impact d'une session qui n'a pas encore commencé. Quant à "thématique" ; nous avons essayé de regrouper les spectacles par catégorie : du 10 au 16 juillet (volet théâtral), du 17 juillet au 16 août (volet musical), et enfin un dernier volet cinématographique. Une manière de donner du plaisir aux gens en leur offrant des moments d'exception car la réussite d'un festival réside finalement dans l'échange. Propos recueillis par Sayda BEN ZINEB