Il y a toujours quelque part des brebis galeuses, des énergumènes jouant aux apprentis-hooligans. Si, ailleurs, le hooliganisme est accepté comme reflet d'un refus, d'une révolte et est finalement institutionnalisé (l'Angleterre), ou que le phénomène prenne l'appellation d' « ultras » ; (appellation italienne pour désigner une forme de retranchement extrême), nous continuons de croire que ceux qui s'arrangent pour nous voler notre fête, chaque fois que le sport et le football vivent des moments intenses, eh bien, ce ne sont toujours que des « suivistes » tétanisés par on ne sait quelle alchimie de la haine mais qui n'auront jamais le privilège et cet « honneur » (excusez l'anti-symbolisme) de traduire un quelconque phénomène de société. Sans doute, ne pourra-t-on plus jamais dire que le football est l'opium des peuples où le ballon rond cristallise des passions, libère les instincts parce qu'ailleurs, c'est fermé. Nous avons dépassé ce stade et cela depuis très longtemps. On ne peut plus affirmer non plus que les fous du stade sont des « vandales organiques » et que cette tendance à la violence est leur « profession de foi », à eux. Les sociologues ne se sont que très peu penchés sur cette question. Sur le phénomène de la violence autour du football. A peine essayaient-ils d'explorer les tréfonds de la psychologie sociale des hooligans, que les Beatles, puis Woodstock leur fournissaient le dérivatif. En Italie, dans la galerie des supporters les plus violents au monde, on traite le sujet avec des pincettes. Jamais, on ne s'aventure ailleurs que dans les sphères du football. Lorsque le jeune supporter de la Lazio fut poignardé, la saison écoulée, le débat, ou plutôt le diagnostic a été circonscrit aux cadres sportifs « Il tifo » (c'est-à-dire, la passion pour le football, d'où le mot « tifoso » c'est-à-dire supporter), et bien sûr, sécuritaire. Prétendre que les débordements autour du football tunisien sont un phénomène nouveau, consisterait simplement à se voiler la face, ou à tomber dans l'amnésie. On n'oubliera pas cette fameuse finale de 71 ; ni le derby de handball ; Hergla il y a quelques années, ou encore Béja. Il arrive que des cohortes sauvages perdent le sens de la citoyenneté – parce que personne ne le leur avait inculqué – et prétextent n'importe quoi sur le terrain pour saccager le stade, les biens d'autrui, les équipements publics... Et pourtant, on a bien vu que ceux qui avaient comparu devant la justice après les débordements consécutifs au match CAB-CA étaient presque tous des élèves du secondaire et des étudiants. Que leur a-t-on appris à l'école ? Que leur ont appris leurs parents ? Dans quelle « culture de la haine » se sont-ils abreuvés ?
Recrudescence
Ce qui donne a réfléchir, c'est que loin de s'estomper « le phénomène », gagne en intensité ces dernières années. Pouvait-on imaginer, un seul instant, que le public historiquement pacifiste du Club Sfaxien, pût enfanter des éléments basculant dans une folie furieuse, l'année dernière au M'hiri, lors du match contre l'Espérance ? Si nous devions nous accommoder de l'idée que le football est, désormais, « l'unique arène d'expression de la contestation », nous ferions le jeu de ces maximalistes très jaloux de leur confort intellectuel et qui ramènent systématiquement tout à un certain contexte social. Trop simpliste. Nous parierions que ceux qui ont voulu incendier la forêt et ceux qui ont saccagé les gradins ne savent rien de la facture énergétique ni de la flambée céréalière. Ils vivent de football. Ils vivent dans la haine des équipes rivales. Ils sont porteurs d'un virus qui échappe à toute codification freudienne du surmoi. Leur « Ça », c'est-à-dire leur instinct animalier prend justement le dessus sur ce surmoi supposé véhiculer le modèle « parental et social introjecté ». Les spécialistes de la sécurité utilisent un concept : « Le mécanisme déclencheur ». A l'origine de chaque débordement il y a justement ce mécanisme déclencheur. Disons, une espèce de provocation. Cette saison, particulièrement, l'arbitrage a pour ainsi dire assez souvent tenté le diable. Avec ou sans erreurs d'arbitrage, affirment des esprits lucides, ces écervelés auraient, quand même, fait ce qu'ils ont fait. D'autres vont jusqu'à dire que « perdants ou gagnants » ils ne résistent pas à la tentation de faire du mal. Peut-on, néanmoins, faire abstraction de deux faits essentiels : 1/ La Fédération tunisienne n'aura fait que provoquer les clubs. Elle assume une part importante dans cet immense gâchis autour du ballon. L'unilatéralisme, les décisions arbitraires, le refus de se concerter et ce jeu du chat et de la souris avec la Ligue auront exaspéré tous les sportifs. 2/ Bien de dirigeants de clubs (grands ou petits) versent dans un narcissisme de guignols et surtout face aux caméras. Diatribes, accusations gratuites (comme celles de ce monsieur qui déclare qu'il y a un complot contre sa ville), et tout cela pour sauver des privilèges inavoués. Le football perd ses repères. Son visage est même défiguré. Trop facile de ne s'en tenir qu'à ceux qui jouent aux hooligans. Et ces messieurs qui tirent les ficelles : doivent-ils toujours s'en laver les mains avec ces tartufferies du style « cachez ce seing que je ne saurais voir », mais qui adorent le voir dans leur psychologie compliquée de voyeuristes « pudiques ».