Cependant les mariages précoces restent fréquents dans certaines régions du pays. * Khalil Zamiti, sociologue : « Les dispositions subjectives peuvent durer même si les structures objectives ont changé » * Que dit la loi ? Une jeune fille qui se marie avant les 25 ans est un acte très rare en Tunisie. Généralement, c'est à l'âge de 31 ans que les Tunisiennes fondent un foyer et s'unissent avec leurs partenaires pour le meilleur et le pire. Il s'agit même de la moyenne affichée par les statistiques nationales. D'ailleurs, les mêmes données démontrent que le taux des filles célibataires âgées de plus de 34 ans ne cesse d'augmenter d'une année à une autre car, elles représentent 16 % de cette population. Toutefois, il y a un contraste entre les données affichées et l'état des lieux. Des jeunes couples âgés à peine de vingt ans parfois moins, nous en entendons parler dans plusieurs régions du pays. C'est au Sahel notamment que ce phénomène persiste encore, où les parents se soucient très tôt par rapport à cette question. Riches, issus d'une classe moyenne ou même pauvres, ces derniers investissent lourd pour assurer cette union plus particulièrement, quand les jeunes abandonnent leurs études et intègrent la vie professionnelle assez tôt. Un père âgé de 22 ou 23 ans est assez courant dans ces zones. C'est même un signe d'épanouissement et de succès social. Une jeune mère à peine la vingtaine est certes un point positif en son compte. Il s'agit même d'une source de fierté pour les parents qui ont réussi à faire marier leur progéniture très tôt. Mais comment s'explique la persistance de ces pratiques en dépit de l'évolution de notre société et sa transformation lors des dernières années ? Les sociologues expliquent ce phénomène par « les dispositions subjectives qui peuvent durer même si les structures objectives ont changé. Les anthropologues anglo-saxons appellent « the cultural lag » traduit par le retard culturel. Mauss désigne le même phénomène par une expression bien plus poétique. Il évoque « une lune morte au firmament ». Sana FARHAT --------------------------------------- Khalil Zamiti, sociologue : « Les dispositions subjectives peuvent durer même si les structures objectives ont changé » Le retard de l'âge de mariage s'explique par plusieurs facteurs qui sont notamment d'ordre objectif. Généralement, le taux de la tranche d'âge de plus de 34 ans et qui est encore célibataire tend vers l'augmentation lors des dernières années. Cependant, le mariage précoce, -à l'âge de vingt ans et même moins- est assez fréquent dans nos régions, celles situées au Sahel ou au Sud du pays. C'est toute la famille qui se mobilise pour unir le jeune couple. Dans cette interview, M. Khalil Zamiti nous explique les causes de la persistance de ces pratiques malgré la transformation de la société et le passage de celle agraire, artisanale et ouvrière à celle estudiantine.
Le temps : Comment s'explique selon vous le retard de l'âge du mariage chez les jeunes tunisiens ? Khalil Zamiti : Cette question de l'âge propice au mariage a partie liée avec le passage de la société agraire, artisanale et ouvrière à la société estudiantine. Maintenant, l'effectif estudiantin afférent à la demande additionnelle d'emploi succède celui des paysans et des ouvriers réunis. Dans l'ancienne société, l'espérance de vie, bien plus brève, la domination masculine et l'affectation des enfants au travail parental incite à la précocité du mariage. Telle est la loi non écrite là où les rapports de production sont imbriqués dans les relations de parenté. De nos jours, l'âge tardif imposé par les conditions objectives des études et de l'accès, problématique à l'emploi est alors vécu sous le mode plaintif de la mauvaise conscience par ceux dont les catégories de pensée perpétuent l'héritage ancestral au niveau des dispositions subjectives même si la société n'est plus tout à fait fondée sur la parenté, la morale et la religion. La même problématique s'applique au profil idéal de la féminité. La femme plantureuse avait à voir avec les économies de subsistance et de pénurie. Aujourd'hui l'allure filiforme diverse avec la hantise de la famine liée aux aléas de la pluviométrie. En Egypte, le barrage d'Assouan prémunit contre trois années consécutives de sécheresse. Depuis l'incidence coloniale nous sommes assis entre deux chaises et ne savons plus à quel registre vouer nos pratiques et nos échelles de valeurs. L'urbanisation des campagnes et la ruralisation des villes jettent les bases de l'ambigüité qui tirent nos ficelles collectives ou personnelles. Les plus futés jouent sur les deux tableaux pour justifier leurs pratiques intéressées.
*En dépit de ce changement et du retard de l'âge du mariage, la société impose encore sa vision par rapport à la question. -Même si l'âge tardif du mariage est imposé par les nouvelles conditions objectives (études et emploi), il est vécu sous le mode de la mauvaise conscience en raison de l'ancien modèle de référence. L'expérience de l'âge tardif suppose la maîtrise d'un outillage vécu qui permet un choix plus conscient et plus pertinent du partenaire. Il est en fait influencé par la référence à la société industrielle définie par sa fondation sur la technique, l'économie et la science.
*Il existe un contraste entre les chiffres affichés au niveau national et la réalité. Dans quelques régions à l'intérieur du pays, (le Sahel, le Sud), les jeunes se marient encore à un âge précoce, même avant les 18 ans. Et ce souvent la famille qui assure et soutient cette union quand un problème financier se pose. -Etant donné la déstructuration des anciens modes de production paysans et l'appauvrissement des franges élargies de la population rurale, les moyens familiaux deviennent insuffisants pour venir en aide aux étudiantes déracinées et livrées à elles-mêmes. Les moyens matériels comptent, mais il peut y avoir les mêmes conditions matérielles et l'âge de mariage diffère, parce que l'âge est un moyen mis en œuvre en fonction des catégories de pensée. Les dispositions subjectives peuvent durer même si les structures objectives ont changé. C'est ce que les anthropologues anglo-saxons appellent « the cultural lag » traduit par le retard culturel. Mauss désigne le même phénomène par une expression bien plus poétique. Il évoque « une lune morte au firmament ». C'est un constat suivant lequel les idées liées à des conditions objectives peuvent perdurer même ces conditions ont disparu. Les idées ont une durée de vie plus prolongée que les pratiques auxquelles elles étaient liées. Il y a une pluralité des rythmes sociaux.
Donc, faut-il s'attendre à un changement ? La question de l'émancipation de la femme est un credo. Etant donné cette transition d'une société cohérente (agraire) vers une société mise en relation avec l'occident est problématique. C'est un constat que les droits accordés à la femme ont été octroyés par la direction politique. Dans les sociétés industrielles avancées ces droits ont été arrachés par une lutte féminine parce que l'âge tardif du mariage a été lié à toute une évolution interne et structurelle de la société. C'est lié à l'émancipation. Cette situation d'une féminité liée à un choix volontaire et non obtenu par un combat féministe explique la différence entre l'apparence et les potentialités profondes.
La question de l'âge comme tous les faits sociaux relève des représentations qui sont elles mêmes contingentes et arbitraires. Autrement dit, historiques. Donc il ne s'agit pas de juger mais d'analyser. Propos recueillis par S.F ---------------------------------------------- Que dit la loi ? Article 5 du Code de Statut personnel, modifié par le Décret n° 64-1 du 20 février 1964, ratifiée par la loi n° 64-1 du 21 avril 1964 puis par la loi n° 2007-32 du 14 mai 2007 stipule que les deux futurs époux ne doivent pas se trouver dans l'un des cas d'empêchements prévus par la loi. En, outre, chacun des deux époux n'ayant pas atteint dix-huit ans révolus, ne peut contracter mariage. Au-dessous de cet âge, le mariage ne peut être contracté qu'en vertu d'une autorisation spéciale du juge qui ne l'accordera que pour des motifs graves et dans l'intérêt bien compris des deux futurs époux.
Article 6, modifié par la Loi n° 93-74 du 12 juillet 1993. Le mariage du mineur est subordonné au consentement de son tuteur et de sa mère. En cas de refus du tuteur ou de la mère et de persistance du mineur, le juge est saisi. L'ordonnance autorisant le mariage n'est susceptible d'aucun recours.
Article 8. Consent au mariage du mineur le plus proche parent agnat. Il doit être saint d'esprit, de sexe masculin, majeur. Le père, ou son mandataire, consent au mariage de son enfant mineur, qu'il soit de sexe masculin ou féminin. S'il n'y a point de tuteur, le consentement est donné par le juge.