Pire que la guerre des six jours, le spectacle - savamment médiatisé par les Israéliens - de ces militants du Fatah blessés par le Hamas et pris en charge par les hôpitaux et les médecins israéliens, représente une extrême humiliation. L' « Etat-voyou », l' « envahisseur », le « criminel de guerre », l' « instigateur de Sabra et Chatila » est subitement visité par une inspiration humanitaire. Il n'en fallait pas plus pour émouvoir à la fois le « monde libre » et le monde oppressé. Pas plus non plus pour que l'on mesure l'ampleur d'une impossible dichotomie. D'un côté, un mouvement historique, né avec la présomption néo-guévariste de libérer la Palestine (recourant, s'il le faut au terrorisme) et qui est devenu, aujourd'hui, l'exécutoire et le refuge des miséreux. De l'autre, ce mouvement rédempteur, né pour contrer l'oligarchie et l'affairisme exacerbé de la caste de Fatah des temps d'Arafat, sur lequel les Palestiniens ont fondé de grands espoirs de justice sociale et de lutte pour la terre, mais qui fait tout pour accréditer ces présomptions l'accablant de mouvement « islamiste » et par surcroît, « terroriste ». Longtemps, les défenseurs modérés de la cause palestinienne qu'ils soient arabes, occidentaux et israéliens, se sont posé de sérieuses questions sur l'essence même du Hamas. On en était même arrivé à considérer que ce mouvement ne fabrique pas des bombes humaines. Et, en tant qu'aboutissement d'un processus démocratique d'élections législatives, sa prise institutionnelle du pouvoir donnait à espérer en une cohabitation sans heurts avec le Fatah. Chimère. Mensonge historique. Dans les pays arabes, la démocratie est une utopie. Sinon, une démocratie de façade. Une rhétorique de comparses broyés par le système et la logique du pouvoir absolu. Les Palestiniens étaient-ils préparés à assumer une « hérésie », une espèce de modèle contre-nature alors qu'ils sont en pleine lutte pour la libération de leur patrie ? Certes, ce fut le verdict des urnes. Mais après coup on réalise que c'est là le scénario classique : les mouvements extrémistes utilisent les techniques démocratiques pour ensuite les retourner contre la démocratie elle-même. C'est ainsi que ce petit « Etat », dont les citoyens étaient disposés à se contenter dès avant 48, d'un statut de minuscule ethnie du style maronite, eh bien ce petit Etat que Abdennasser se proposait de « jeter à la mer », aura imposé le « fait israélien » au détriment du droit palestinien. Et tout cela au beau milieu d'un monde arabe toujours régi par l'aveuglement totalitaire et idéologique. Maintenant, les Palestiniens s'entre-tuent. Le Hamas est finalement dans sa logique : il ne renonce pas aux armes, mais il les tourne contre ses concitoyens, fournissant ainsi un prétexte providentiel à Israël. Voilà, donc, l'Etat hébreu qui ouvre sa frontière pour hospitaliser les militants du Fatah. Nietzshe dirait que c'est « la fascination du diable ». Mais il tient aux Palestiniens eux-mêmes de soutenir Abbas. Le président palestinien se bat contre les forces de rétention des « privilégiés » historiques du Fatah, ceux-là mêmes qui, en fait, n'ont jamais voulu de libération de la Palestine ; et, en même temps, contre ces éléments embrigadés du Hamas qui sonnent l'heure de la rédemption, oublient la Palestine et se lancent dans un vaste ratissage ethnique. Dans sa livraison du samedi 2 août, et dans la rubrique : « Il y a 50 ans dans Le Monde », Le Monde reproduisait le discours de Bourguiba, datant du 2 août 1958, consacré aux « enseignements du mouvement national tunisien », dont le leader disait qu'il profiterait aux Algériens. Il dit ceci : « (...) J'espère qu'avec le temps et grâce aux leçons que nous vivons, se trouveront remplies dans les pays frères (...) les mêmes conditions de succès. D'une part, des horizons larges et des plans rigoureusement établis. D'autre part, une cohésion parfaite entre les combattants de l'intérieur et la direction pensante afin qu'ils se soumettent aux exigences de la discipline, qu'ils sachent que la guerre est faite de ruse... ». En 65, ce fut le discours de Jéricho... avec le cataclysme que l'on sait. Et dans un ultime sursaut prophétique, après que les Palestiniens eussent obtenu un certain Etat autonome, il sortit son fameux « Trop peu et trop tard ». Aujourd'hui, la situation est désespérée. Car, la Palestine est, désormais, l'otage d'une sérieuse mouvance islamiste. L'ennemi ce n'est donc plus uniquement Israël...