Dans le patelin où il avait toujours vécu, il était estimé par tous les habitants qui le considéraient comme l'ange protecteur du village. Ce quadragénaire avait des dons surnaturels qu'il hérita de son défunt père. Celui-ci se déclarait lui-même être descendant de marabouts dont l'aïeul, d'origine andalouse a échappé par miracle à l'inquisition espagnole, pour venir s'installer dans la région, une « zaouia » a été élevée en son honneur et habitée par ses héritiers directs auxquels les dons surnaturels étaient génétiquement transmis. Habillé d'une gandora verte et coiffé d'une chéchia entourée d'un turban, hiver comme été, le quadragénaire était bien sollicité pour les séances de voyance et d'exorcisme. Il était visité surtout par les femmes. Celles qui n'étaient pas encore mariées cherchaient chaussure à leur pied, et le voyant était compétent pour leur faire quelques amulettes afin de leur faciliter la tâche. Pour les autres, celles qui étaient mariées, elles voulaient pour la plupart, connaître le degré de fidélité de leurs époux. Le voyant lisait dans le marc du café. Il pouvait également lire les lignes de la main ou interpréter les formes que donnait le plomb fondu puis refroidi dans l'eau. Il avait tout ce qu'il fallait pour ses multiples services. Cependant la femme qui vint le voir le jour du souk hebdomadaire, dans sa zaouia allait complètement changer le cours de sa vie. Elle lui annonça en effet qu'elle était médium et qu'elle pouvait l'aider en faisant du spiritisme. Il lui demanda de lui faire une petite démonstration qui l'émerveilla. Le quadragénaire était fasciné par cette dame au corps élancé et au sourire charmant. Il lui demanda de le seconder en organisant des séances de spiritisme à qui le désirait. La zaouia était depuis ce jour de plus en plus assaillie par une file interminable de femmes venant pour ces séances attirant ainsi de plus en plus l'attention du voisinage. La zaouia n'était plus suffisante pour répondre aux besoins de toutes les femmes dont le nombre ne faisait que croître. Ce fut la raison pour laquelle le quadragénaire fit la proposition à sa collaboratrice d'ouvrir un office secondaire en ville. L'idée était bonne, et cette dernière n'en vit aucun inconvénient bien au contraire, cependant ayant loué un appartement en plein cœur d'un quartier chic, la bonne dame suggéra au marabout de venir s'installer avec elle dans les nouveaux locaux. L'idée était géniale, d'autant plus que le voyant n'était pas marié, et était presque seul dans la zaouia depuis le décès de sa mère. Il pouvait garder la vieille dame qui recevait les clients à la zaouia, et s'installer avec la bonne dame. Les relations ne faisaient qu'évoluer entre le voyant et cette dernière depuis leur installation en ville. Mais à quel titre habitait-il sous le même toit avec elle ? A vrai dire les liens ne faisant que se raffermir entre eux, ils avaient projeté d'un commun accord de se marier. Mais le voyant l'avait convaincue qu'ils pouvaient contracter un mariage coutumier ou « Orf » en attendant d'officialiser les choses. La bonne dame était une veuve dont le mari décéda il y a quelques années ainsi que la fille qu'elle eut avec lui et qui périt, heurtée par une voiture. Elle était pratiquement seule, et n'avait hérité de son mari qu'un petit lopin de terre. Elle était entièrement d'accord pour cette forme d'union qui pouvait prospérer par la suite. Au fil du temps le rôle du voyant avait complètement changé Il commença à faire de la prospection pour attirer les clientes désireuses de faire des séances de spiritisme. Il passait sa journée de café en café dans ce but. Il avait acquis la manière qui lui permettait d'aborder facilement les femmes. Mais il ignorait qu'il allait sur une mauvaise piste. Car parmi ces femmes il y avait celles qui cherchaient le profit par n'importe quel moyen et tous les prétextes étaient bons. L'office de la bonne dame devint de plus en plus mal fréquenté. Le couple de voyants obnubilé par le gain d'argent ne voyait pas venir le danger venir. Le voisinage était intrigué par ces bonnes dames qui venaient dans l'appartement des voyants pour des séances de spiritisme sans ressortir de la nuit. Surtout lorsqu'elles étaient accompagnées de leurs soit-disant époux. La situation était d'autant plus inquiétante, quand ces séances de spiritisme étaient transformées en beuveries. Et les choses ne s'arrêtaient pas là, car des consommateurs de stupéfiants étaient également du lot. Ce fut du moins ce qu'avaient remarqué certaines personnes qui finirent par alerter la police. Cependant les agents de la brigade criminelle qui avaient fait une descente surprise dans les lieux n'avaient pas trouvé la moindre trace de stupéfiants. Par contre les couples qui s'y trouvaient étaient bien embarrassés. Ils invoquèrent cependant qu'ils étaient des amis et qu'ils s'étaient réunis pour se divertir et fêter les fiançailles du couple de voyants. D'ailleurs, le marabout qui n'avait jamais quitté sa tenue traditionnelle, déclara qu'il projetait d'aller à la Omra, avec sa future épouse après le mariage, fixé pour le mois qui suivait. La bonne dame qui faisait le spiritisme était elle aussi habillée en djellaba, la tête couverte d'un foulard. Devant le tribunal, ils furent relaxés au bénéfice du doute d'autant que le voyant avait régularisé sa situation illico par un acte de mariage dûment établi par un notaire et deux témoins honorables.