Enfin, on parle d'un sujet tabou à la télé, dans les feuilletons tunisiens. Nos artistes ont enfin mis le doigt sur la plaie, une des plaies de notre société qui gangrène dans la discrétion totale en faisant pas mal de victimes qui souffrent pourtant en silence. Cette plaie purulente n'est autre que le harcèlement sexuel, ce sujet qui alimente encore les conversations parmi les jeunes et moins jeunes, femmes et hommes, grâce au feuilleton tunisien diffusé au Ramadan intitulé « Sayd Errim ».
Oui, le harcèlement sexuel existe bel et bien chez nous ; les scènes du feuilleton en sont la preuve. N'empêche que bon nombre de téléspectateurs sont restés sur leur soif, trouvant la fin du feuilleton décevante et pas trop convaincante, n'ayant à aucun moment imaginé une telle chute finale qui a trahi leur attente. Nous ne nous proposons pas dans cet article de critiquer ce feuilleton qui a d'ailleurs fait couler beaucoup d'encre ces derniers jours, loin s'en faut. Ce qui nous intéresse ici, c'est plutôt le sujet plus que le feuilleton en tant que tel. Mais disons pour en finir que dans ce feuilleton, le réalisateur n'a fait qu'exposer des faits, sans doute réels et réalistes, il n'a fait que diagnostiquer le mal sans en indiquer de remède ; c'est exactement comme si l'on voulait supprimer les mauvaises herbes dans un jardin sans avoir éliminé définitivement les racines. Cependant, ce feuilleton a eu au moins le mérite de poser un problème au sein même de la famille tunisienne, lequel problème a toujours été considéré comme un sujet tabou. Un tel sujet étant désormais abordable et discutable, saura-t-on prendre les mesures nécessaires pour y apporter les remèdes adéquats ? Parmi les définitions du mot « harcèlement », c'est celle donnée par le dictionnaire Wikipédia qui parait la plus exhaustive. On y lit : « Le harcèlement sexuel désigne les situations dans lesquelles un ou plusieurs individus sont soumis (en principe de manière répétée) à des propos ou pratiques visant à les réduire à leur identité sexuelle sans pour autant que ces propos ou comportements soient par ailleurs considérés isolément comme des délits. Les victimes sont généralement des employés soumis aux « fantaisies » de leurs collègues ou supérieurs. » On souligne donc un certain nombre de termes très significatifs dans cette définition : « propos », « pratiques », « soumis », « répétée », « victimes », « fantaisies », « délits », « employé », « collègues », « supérieurs ». Ce lexique employé, à juste titre, est suffisant pour retenir l'essentiel du sujet : il s'agit donc d'un supérieur (ou un collègue) qui abuse de son pouvoir hiérarchique pour faire des avances généralement répétées à ses subalternes en les soumettant à ses caprices sexuels sous peine de sanction. Pour comble de malheur, les propos, les gestes et les attouchements sexuels dont use ce supérieur risquent de ne pas passer pour un délit, tant que les victimes n'osent pas porter plaintes contre ces « agresseurs » pour diverses raisons ; par pudeur, pour éviter un scandale, ou encore par peur d'une vengeance. Chez nous, l'existence de ce phénomène ne fait l'ombre d'aucun doute et garder encore le silence sur un tel phénomène ne fait qu'empirer la situation. Autant dénoncer ces comportements et essayer d'en trouver les causes pour parvenir aux solutions adéquates. Les psychologues, les mouvements féministes, les partisans des droits de l'homme, les organisations humanitaires, les artistes, les enseignants..., tout le monde doit se mobiliser pour réprimer le phénomène. Les femmes, en premier lieu, doivent se serrer les coudes en œuvrant pour l'élaboration d'une loi qui condamne le harcèlement sexuel dont des milliers de femmes sont victimes. Les médias ont un grand rôle à jouer en lançant des campagnes permanentes à travers surtout la Radio et la Télévision, ne serait-ce que pour mettre en garde contre ces chantages et ces menaces pratiqués par certains « patrons » sans scrupule sur leurs employées qui se soumettent à leur volonté sans jamais oser les contrarier ! Et dire qu'on a aboli l'esclavage depuis longtemps ! Il faut dire que le harcèlement sexuel pratiqué sur le lieu du travail n'est qu'un aspect du phénomène qui prend de nos jours d'autres formes et s'exerce dans d'autres lieux : la rue, les moyens de transport, l'école, l'université et l'Internet. En effet, nos filles sont constamment exposées aux propos malsains et aux gestes provocateurs de la part des garçons qu'elles croisent dans la rue, à l'école, dans le bus ou le train. Des filles et des femmes sont même victimes d'attouchements lors d'une bousculade ou en faisant la queue devant le guichet d'une gare ou la caisse d'un magasin. Des écolières, des lycéennes ou des étudiantes auraient dû être victimes de harcèlement sexuel de la part d'un enseignant ou d'un cadre administratif ; mais la loi du silence qui règne dans les écoles et les universités nous empêche d'en citer tous les cas ! Des milliers d'autres ont reçu, lors d'un chat sur Internet, des images et des messages « sexuels » humiliants ou des propositions malhonnêtes à travers la webcam de la part d'adultes qui se cachent derrière un pseudo et qui sont toujours en quête de mineurs à travers la toile pour s'exhiber et assouvir leurs besoins bestiaux ! Ces gens comptent sur l'innocence et l'inexpérience des mineures pour exercer sur elles, même à distance, un harcèlement sexuel. Certaines peuvent ne pas céder à la tentation, d'autres peuvent être atteintes de dépression, mais la plupart se trouve par curiosité impliquée dans ce genre de manipulations perverses et vicieuses qui peuvent être traumatisantes pour une fille encore adolescente et peuvent même fausser la bonne représentation qu'elle se fait sur l'amour et la sexualité ! Là encore ces jeunes filles n'osent pas en parler à leurs parents ! Le malheur est que les victimes du harcèlement sexuel ne veulent ou ne peuvent pas dénoncer les auteurs des préjudices qu'elles ont subis, faute de preuves, du moment que les faits se sont déroulés dans la discrétion, en l'absence de témoins. Souvent, les familles des victimes, avisées de ces pratiques amorales et déshonorantes, n'ont pas intérêt à divulguer l'affaire outre mesure et sont contraintes d'avaler la pilule de peur que leur fille ne perde son emploi ou ne soit exposée à d'autres mesures arbitraires de la part de son supérieur. S'il existe des victimes qui osent signaler leurs « bourreaux » aux autorités, c'est qu'elles font preuve de courage et de dignité, abstraction faite des risques encourus ! Même s'il est difficile ou impossible de prouver le délit (c'est ainsi qu'il faut l'appeler !), il est toujours possible de légiférer contre le harcèlement sexuel : il faut bien avoir des moyens légaux à notre disposition pour faire face à ce phénomène inquiétant et préjudiciable à bien des égards ! La création de centres d'écoute, à l'instar de ceux destinés au Sida, dans tous les gouvernorats, est souhaitable. Ainsi, on peut du moins protéger, sinon sauver des milliers de femmes et de filles exposées au harcèlement sexuel ! Hechmi Khalladi
Témoignages : Que pensez-vous du harcèlement sexuel ? Que faut-il faire pour mettre fin à ce phénomène ? ** Sami, 28 ans, agent de bureau : « Je dirais plutôt que les femmes ne sont pas victimes, mais elles sont provocatrices : comment voulez-vous qu'un homme reste passif devant une femme ou une fille aux manières coquettes, habillée en mini-jupe, en robe moulante ou en décolleté qui fait voir les rondeurs de son corps ? Que faire ? Il faut que les femmes soient respectueusement habillées, au travail comme dans la rue pour être respectées des hommes !» ** Fatma, 35 ans, institutrice : « C'est un phénomène qu'il faut absolument combattre par tous les moyens : les médias ont un grand rôle à jouer dans ce domaine. Le feuilleton qu'on a vu dernièrement sur le petit écran pendant le mois de ramadan, intitulé SAYD ERRIM est un exemple de sensibilisation au problème. Tous les artistes, chacun dans son domaine, peuvent mettre la main à la pâte en produisant davantage des feuilletons de ce genre pour contribuer à endiguer ce mal ! » ** Ahmed, 62 ans, retraité : « Pour moi, je ne vois aucune issue à ce problème, tant que les victimes du harcèlement ne se manifestent pas. Leur silence peut décourager toutes les bonnes volontés qui veulent agir pour mettre fin à ce phénomène. C'est bien dommage ! » **Olfa, 42 ans, secrétaire : « Je pense que ceux qui pratiquent le harcèlement sexuel sur leurs employées par abus de pouvoir sont des gens vils et sans scrupules ; c'est la résignation et la peur de leurs victimes qui les mettent à l'abri de toute poursuite judiciaire. » Témoignages recueillis par H.K