Tunis vivra durant huit jours à l'heure du cinéma. On rouvrira les salles, on astiquera ces appareils devenus vétustes et grinçants et on dépoussièrera sièges et moquettes. Et l'essentiel le fera-t-on ? Dépoussièrera-t-on les idées fondatrices des JCC de 66 nées d'un rêve de Tahar Chériaâ et impulsées par l'homme de culture, témoin de son époque qu'est Chedly Klibi. Dans les années 60 et 70 les idéologies s'incrustaient dans l'imaginaire des peuples du Sud fraîchement décolonisés. Les JCC furent créées à dessein : cristalliser, par le concept cinématographique, un raffermissement identitaire et tisser les liens pour la naissance d'un cinéma authentiquement arabo-africain. En filigrane, le dialogue sud/sud, une fronde contre l'industrie lourde du Nord, contre ses lobbies et à l'endroit même de son exclusivité culturelle. Une contre-exclusivité du Sud opposée à l'exclusivité du Nord. Une révolte en soi. Un non-alignement résolu. Ce furent là les moments forts des JCC. Curieusement, les régimes du Sud pour la plupart déjà fermés laissaient faire. Tunis ou plutôt Carthage enclenchait l'émancipation culturelle par le cinéma. Par la force de l'image. Et nos cinéastes de ces temps héroïques, pourtant formés dans les studios européens, étaient comme tétanisés grâce à ces chaînes qui cassent. Oui, ce furent "les baliseurs du désert". Ils renvoient à la figure du cinéma colonisateur du Nord, les artifices de son universalisme fallacieux, son incapacité à dialoguer et, surtout, surtout, son nombrilisme. Seulement voilà : le monde change, la globalisation fait que les entités et les spécificités sont passées de mode. Les idéologies tombent ; et, du coup, le cinéma arabo-africain connaît un repli. Le dialogue bégaie. Face à une industrie cinématographique du Nord cuirassée et hermétiquement fermée et face à la montée des productions télévisuelles, les marchés locaux s'avèrent insignifiants ; et la distribution (comme pour nos journaux) pratiquement autarcique et occulte. Entre temps les échanges sud/sud, se révèlent être plus problématiques que les échanges avec le Caire. L'axe le Caire / Damas (axe stratégique) devient inexpugnable. Et pas seulement : nous avons encore en mémoire les tribulations d'Ahmed Baheddine Attia pour obtenir que "Asfour Stah" passe dans les salles marocaines. Les cinéastes arabes et africains font dès lors, chacun cavalier seul. Les JCC battent de l'aile. D'autres festivals du sud le concurrencent. Il devient dès lors "ce festival à stars et paillettes" ; le mélange des genres s'y institutionnalise au détriment du métissage des identités. Les JCC retrouveront-ils leur identité ? Le producteur Néjib Ayed, par exemple, propose "qu'ils se dotent d'une vraie existence légale indépendante du ministère de la Culture". Férid Boughedir lui, pense que "le débat identitaire est révolu". Ibrahim Letaïef déplore que les JCC aient renoncé aux idéaux de 66. En revanche Abdellatif Ben Ammar appelle à une nouvelle union sacrée. Et la part des politiques du Sud dans tout cela ? Sans réponse objective, ou décrètera encore ce mot d'ordre : "silence, on tourne... en rond".