Entre pèlerinage à la Mecque et fête du Sacrifice existe un lien autre que chronologique. Ce sont deux rites islamiques pas toujours obligatoires ; c'est un peu comme pour le jeûne de Ramadan : les personnes malades et autres voyageurs et femmes enceintes n'y sont pas astreints. Pour l'Aïd el Kebir, le sacrifice d'un mouton, ou de tout autre animal parmi le cheptel autorisé par la Charia, n'est pas une obligation quand on n'en a pas les moyens financiers. L'Islam ne force pas les gens à vivre au-dessus de leurs moyens, ni à s'endetter pour soi disant se conformer à un rite incontournable dicté par la sunna du prophète Mohammed. Ce n'est pas non plus un sacrifice digne du vrai musulman que de se couvrir de dettes pour les beaux yeux d'une épouse exigeante ou d'enfants capricieux. Sinon, il faudrait alors revoir dans quel sens doit être entendue la notion de « sacrifice » pour laquelle la fête qui porte ce nom a été décrétée. S'il s'agit de sacrifier tout son salaire et le pain de ses enfants pour le reste du mois, s'il est question de sacrifier sa dignité en mendiant le prix du mouton à droite et à gauche, il doit y avoir contresens dans l'interprétation de la valeur symbolique de la cérémonie en question.
C'est toujours trop cher ! Le mouton est chaque année trop cher pour les bourses moyennes. A plus de 150 dinars l'agneau le plus maigre, c'est à peu de dinars près l'équivalent d'un loyer modéré dans n'importe quelle ville tunisienne. Cela permet de s'acquitter au moins de deux factures impayées et d'une partie du crédit contracté auprès d'une banque ou de toute autre société. De plus, la quantité de viande rescapée de la boulimie des premiers jours de la fête ne tiendra pas plus d'une semaine chez les plus parcimonieux ; il est d'ailleurs déconseillé de la consommer après cette échéance. En définitive, le gain s'avère minime par rapport à celui qu'on escomptait avant l'Aïd ! Pour les régions où la tradition majoritaire est d'égorger du bœuf ou du chameau, les dépenses restent élevées même quand on s'y met à plusieurs. Il est en effet permis de sacrifier une seule tête de ce genre de bétail pour 7 acheteurs différents ; mais au prix où se vendent les deux races actuellement, le nombre des cotisants n'amortit que relativement la cherté de la bête à sacrifier. Beaucoup de gens croient avoir trouvé la parade en achetant la veille de l'Aïd une quantité de viande, de foie et de côtelettes à environ la moitié du prix d'un mouton vif ou en rentrant avec un mouton entier égorgé et dépecé par le boucher à plus de 120 dinars (mais sans les tripes, la tête et les pattes, à moins d'ajouter un supplément sur le prix déjà payé). Seulement, ces solutions ont l'inconvénient de faire entorse à la consigne religieuse sur la question, car le sacrifice est obligatoire pour ceux qui en ont les moyens ; ce qui revient à dire que quand on en a pour 120 dinars, on en a pour plus ! Concernant le sacrifice collectif d'un même mouton, il n'est pas autorisé par les Ulémas. C'est seulement dans le cas du bœuf ou du chameau que ce rite est toléré. Pourtant, qui ne l'a pas constaté, les familles tunisiennes qui s'associent pour l'achat d'un bélier pour tous ne manquent pas dans notre société.
Les moutons bêlent, la caravane passe ! Le mieux serait donc de ne fâcher ni Dieu ni les créanciers auprès de qui l'on s'endette pour le mouton de l'Aïd. Observer l'abstinence quand il le faut c'est plutôt cela l'Islam, religion qui préconise d'éviter en toute chose le gaspillage et l'excès. En attendant bien sûr que l'actuelle crise financière mondiale fasse baisser considérablement les prix du mouton, du bœuf et du chameau ! Ou alors il faudrait espérer une miraculeuse intervention chinoise sur le marché pour nous vendre à 30 ou 40 dinars la tête du côté de la rue Boumendil et sur les trottoirs de la rue Charles de Gaulle ! Non mais pour être sérieux, le sacrifice de l'Aïd el Kebir mis à part, les autres fêtes que l'on qualifie à tort de religieuses ne font qu'enrichir des spéculateurs sans foi ni loi. Il n'est dit nulle part que l'on doit débourser plus de la moitié de son salaire pour fêter l'Aïd el Fitr ; personne non plus ne nous a appelés nous autres musulmans à préparer l'assida au Mouled ni à nous entretuer pour quelques grains de zgougou ou quelques pignons et noisettes. Pensons à l'hiver 2009 qui s'annonce rude économiquement parlant, pensons aux saisons de vaches maigres qui vont venir peut-être jusqu'à chez nous sans y avoir été invitées, pensons à honorer les engagements financiers pour éviter les solutions déshonorantes et les impasses financières o combien embarrassantes, pensons à éviter à la famille et surtout aux enfants de payer pour des errements dont ils ne sont pas responsables. En un mot soyons prévenants et sagement économes et suivons l'adage qui dit : les moutons bêlent, la caravane passe ! Euh...oui c'est mieux ainsi pour le moment !