On dit de quelqu'un qu'il a avalé un réveil pour montrer à quel point il est ponctuel. En Tunisie, et en dépit des prix très modestes des réveils et des montres (grâce au marché parallèle), presque personne n'a rien avalé de tout ça pour lui rappeler ses heures de travail, ses rendez-vous, les heures de départ de son train ou de son avion, etc. Ou alors, l'agenda de chacun et son bloc-notes ne lui servent pas à grand-chose sinon à donner l'air, seulement l'air, d'être organisé et de ne pas transiger l'exactitude. En tout cas, la ponctualité n'est pas notre qualité première ; c'est plutôt notre principal défaut. Et la plupart d'entre nous donnent chaque jour plus d'une raison à ceux qui ont inventé l'expression « rendez-vous arabe », pour qu'ils continuent à nous accuser de n'être jamais à l'heure ! Figurez-vous que les médecins, premiers spécialistes des rendez-vous, vous laissent souvent poireauter alors que ce sont eux qui ont insisté pour que vous veniez à par exemple dix heures pile ! La semaine dernière, chez le dentiste, une jeune dame très belle et d'une exceptionnelle élégance entra dans le cabinet et tout de go demanda si le médecin était là. La secrétaire médicale la pria d'attendre son tour, ce qu'elle fit pour quelques minutes seulement, après quoi elle frappa à la porte du chirurgien et entra. Les autres patients mirent du temps pour protester surtout que l'infirmière leur assura que la jolie dame n'était pas venue se faire soigner. C'est seulement quand ils entendirent les crissements et vrombissements des appareils du dentiste qu'ils commencèrent à grommeler. A la fin de la consultation, le médecin sortit accompagner sa malade privilégiée jusque sur le palier et quand il reprit son travail, il ne daigna même pas s'excuser auprès des autres patients venus deux heures avant « l'invitée de marque ».
La hiérarchie dans les retards En fait, ce sont surtout nos réunions qui ne se tiennent jamais à l'heure. Parfois, on change leur date sans vous prévenir. Un jour, une collègue apparemment bien rôdée à ce jeu des organisateurs de colloques, de séminaires et de symposium et qui voyait notre empressement à rejoindre l'hôtel où devait se tenir à 8 heures 30, un forum sur on ne sait plus quoi, ne cacha pas son amusement et nous conseilla d'y aller au moins une heure plus tard. C'est que les rencontres de ce type ne commencent en effet qu'une fois les principaux acteurs sont tous là. Or les stars se font toujours attendre et ils arrivent, avec du retard bien entendu, les uns après les autres en respectant la prééminence hiérarchique : il n'est pas concevable par exemple que le sous-directeur mette plus de temps que le directeur pour rejoindre la réunion. Le PDG ne peut être là avant ses subalternes et ainsi de suite. La déplorable manie a malheureusement contaminé des administrations où tout le monde est pratiquement logé à la même enseigne : réunions entre professeurs, entre étudiants, élèves, ouvriers etc. C'est au cours de pareils rendez-vous que l'on se rend compte à quel point le réflexe bureaucratique est partagé par toutes les couches sociales. Pour se donner de l'importance ou pour tout simplement chercher la bagarre, les retardataires crient à la cabale et accusent une partie de l'assistance d'ourdir des combines pour les écarter en commençant la réunion sans eux. Quand ils vous laissent le temps d'en placer une et de leur rappeler l'heure à laquelle il fallait venir, ils vous en voudront de vous mêler de leurs affaires personnelles et invoquent mille excuses pour justifier leur retard. Le comble parfois c'est qu'ils vous font revenir au point zéro ou bien vous imposent de leur récapituler les débats auxquels ils n'ont pas assisté. Ce phénomène se pose également dans le secteur du journalisme, où l'on annonce l'organisation d'une conférence de presse qui sera reportée dans une deuxième phase.
Léger différé Nos programmes radiophoniques et télévisés respectent, depuis un certain temps déjà, les horaires annoncés ; seulement quand l'émission est du genre à susciter une grande audience, on s'arrange pour la faire précéder de tous les spots publicitaires qu'on a en stock. Si bien qu'au lieu de débuter à 9 heures, ladite émission ne commence qu'une quinzaine de minutes après son rendez-vous initial. Et c'est heureux ainsi ! Les matches tunisiens commencent aussi avec du retard, parfois intentionnellement ! Nous avons en effet été témoin d'une petite manœuvre qui visait à repousser le plus tard possible le coup d'envoi d'une rencontre de championnat afin de créer un décalage important avec un autre match aussi important. On était en fin de saison et la fédération concernée avait rigoureusement prévenu les arbitres pour qu'ils respectent l'horaire décidé pour toutes les rencontres. C'était plus que flagrant et, hélas, honteux pour l'éthique sportive.
Lapins ! Mais en fait d'éthique relative aux rendez-vous, il faut voir d'abord s'il en existe une chez nous. Même le fameux « revenez demain » de nos bureaucrates nationaux n'est plus respecté ou alors il l'est selon la logique exponentielle : c'est valable tous les jours comme la célèbre formule « aujourd'hui pas de crédit, demain si ! ». C'est tout le temps renvoyé aux calendes grecques ! Quand aux rendez-vous entre gens ordinaires, le plus étonnant c'est que parfois c'est celui qui a le plus besoin de l'autre qui arrive en retard ou manque franchement le rencard. Pour ce qui est des amoureux, en règle générale c'est celui qui aime le plus sincèrement qui arrive à l'heure et même bien avant ! C'est un bon thermomètre, le rendez-vous amoureux, pour savoir la place que vous occupez réellement dans le cœur de votre partenaire ! Bon, parfois il faut accorder le préjugé favorable à l'amant distrait ; chez certains, le manque de ponctualité est involontaire mais incorrigible, et c'est peine perdue de vouloir remettre ses pendules à l'heure ! Il arrive que ces étourdis manquent un examen capital en se réveillant tard, ou en oubliant la date et l'heure exactes ou bien en n'anticipant pas les contretemps de la circulation ni les caprices de la météo ! Ils peuvent aussi venir en retard à la mairie pour signer leur contrat de mariage : pourquoi se presser après tout, il (ou elle) aura toute la vie pour contempler l'élu(e) de son cœur et pour lui poser bien d'autres lapins !