Maintenant que la guerre est finie, qu'allons- nous faire de tous ces jours, de toutes ses nuits où nous n'existions plus, où nous sommes retombés dans l'oubli ? Cela fait des siècles que nous n'existons que par la guerre. Combien de croisades avons-nous subies ? Combien de représailles, de ratissages, de liquidations en masse, ou de tentatives d'éradications toujours avortées, même si le prix à payer a souvent été celui du sang versé, de la torture, de villages et de douars rasés, des villes nouvellement construites, rapidement détruites et toujours ressuscitées. Qu'allons- nous faire après la guerre ? Attendre la suivante. Car nous la demandons de toutes nos forces. Si le monde nous hait à ce point, c'est que nous sommes haïssables. Si les Français, les Anglais, les Américains, les « Tsahéliens » nous bombardent, c'est que nous sommes bombardables. Alors, s'il vous plaît, ne prolongez pas trop longtemps cette trêve factice, et pressez-vous de me bombarder, où que je sois. A Rabat, à Alger, à Tunis, à Tripoli, au Caire, à Beyrouth, ou dans n'importe quelle autre capitale de ce corps, mille fois mutilé, mille fois brûlé, et mille fois guéri de ses blessures et sorti de ses cendres. Ce monde qu'on appelle le monde arabe, qui existe sans exister, qui subit les guerres sans les déclarer, et qui résiste, malgré ses ennemis ancestraux et surtout malgré ses faux frères. Alors que, les chaînes publiques françaises font de leur mieux, pour se disculper, de la prise de position honteuse et irrécupérable qui fut la leur tout au long des terribles évènements de Gaza, en tentant de ménager et le loup et l'agneau. Alors que Tsahal fanfaronne en déclarant qu'elle avait atteint ses buts, et que Hamas déclare, à tue-tête qu'il avait gagné la guerre, nous affirmons que les seuls à avoir gagné la guerre sont les morts. Parce que les morts n'ont plus besoin de mots, plus besoin de sang, plus besoin de maisons, plus besoin de leçons, et surtout parce qu'ils sont au-dessus de toute manipulation. Les morts ne sont pas sous les décombres, ne sont pas sous terre. Ils voguent dans le ciel, à des années-lumière au-dessus des faucons, des aigles, et des avions militaires. Les morts ne disent rien. Et ne donnent pas leurs avis lors des débats télévisés ou sur les ondes radiophoniques. Les morts voguent au-dessus de nous pour nous préserver des bombes et du soleil. Et quelque fois, ils pleurent comme on pleure, quand on a perdu sa maman. Car, une maman n'a pas d'âge, n'est-ce pas ? La patrie non plus. Alors, ne tardez pas s'il vous plaît. Sortez de votre réserve. Et bombardez-moi, rien qu'une fois... encore une fois. Car, ce n'est qu'en étant mort que je peux, encore une fois, me mettre debout, et vous balancer en pleine tronche : JE SUIS LE MAURE... Je suis Arabe. Et même si j'ai perdu toutes les guerres, je vous ai toujours vaincus. Je marche de travers, à contre-sens de l'Histoire, à contre-courant de toutes les vagues, de toutes les mers. Je suis le fantôme du vide, le prince du désert ; celui qui n'obéit qu'aux douceurs de la nuit, parce que toutes les nuits sont belles, hormis celles que vous souillez, de vos bombes phosphorigènes. Ce n'est ni Hamas, ni Tsahal qui ont gagné cette guerre. Cette guerre qui n'est même pas une guerre. Mais une manière exceptionnelle de mater une prison, hermétiquement verrouillée, peuplée de créatures, prisonnières de leur destin, prisonnières de leurs maîtres, prisonnières de leurs voisins, prisonnières de leurs frères, et prisonnières de leurs ennemis : voisins, et lointains. C'est connu, depuis la nuit des temps : l'Histoire a toujours été écrite par ceux qui gagnent la guerre. Les perdants en sont absents. Ils n'ont donc aucun mot à dire. Que les Turcs se relèvent et parlent de la Grande Porte Sublime, en rappelant aux juifs, que l'empire Ottoman les a toujours sauvegardés. Que les Perses menacent d'un chaos total, Olmert et ses coreligionnaires, ne peut que réveiller et fortifier la conviction qu'ont les peuples arabes, de ne pouvoir sortir des sous-sols nauséabonds de l'Histoire, qu'en comptant sur eux-mêmes. Car ce n'est ni Tsahal, ni Hamas qui ont gagné la guerre. Cette guerre a réveillé les peuples qui étaient, non seulement écrasés par leurs ennemis, mais surtout par ceux qui les commandent. Depuis la chute de Grenade, les Arabes n'ont plus jamais été commandés par des Arabes. Même si les régimes qui ont émergé après les mouvements de libération nationale, donnent la fâcheuse impression, dans leur majorité, d'être des régimes arabes, alors qu'ils ne sont en réalité, que des régimes contre les Arabes, cautionnés par les puissances qui ne tolèrent l'existence arabe, que parce que cette existence est tenace. Non, ce n'est ni Tsahal, ni Hamas qui ont gagné cette guerre. Ce sont les peuples arabes. Alors, s'il vous plaît, bombardez-moi encore une fois. Rien qu'une fois. Car, c'est ma mort qui enfante ma vie. Aucun enfant n'est mort à Gaza, aucune maison n'a été détruite à Gaza. Il n'y a eu aucun drame à Gaza. Il n'y a pas de Palestiniens à Gaza. Il y a pire que tout cela. Il y a le cœur de ce grand corps malade, qui bat, qui rebondit, et qui combat. Le peuple arabe est encore appelé à combattre, pour sauvegarder son existence. Comment, avec quelles armes et contre qui ? Maintenant qu'il n'a plus aucun ennemi. Ou du moins, aucun ennemi valable. Car tous les masques sont tombés, le peuple arabe est appelé à combattre tous les démons qui l'habitent. Il est appelé à s'auto-éradiquer, pour se lever et jeter ses vielles babouches, à la face d'un monde sclérosé. Alors, bombardez-moi, bombardez-moi encore une fois. Je n'attends que cela.