Plus besoin d'aller en Turquie La mode est aux feuilletons turcs ces derniers mois : au début ce fut Nour qui récolta un succès incomparable auprès de nos téléspectatrices. Au bureau comme à la maison, entre parentes ou avec les voisines, on ne parlait que des rebondissements vécus par les héros de Nour, on émettait diverses hypothèses sur le sort de chacun d'eux et bien sûr on faisait tout (et parfois on ne faisait rien) pour ne pas en manquer un seul épisode. Et puis vint El Holm edhaa'a (Le rêve brisé), suivi de Sanawat edhayaa (Les années de perdition) et de Wa tamdhi el ayyam (Les jours s'en vont...). Et qui sait si la liste n'est pas plus longue. Nos douces moitiés ne sont pas en fait les seules à s'intéresser à ces feuilletons, car la gent masculine n'est pas toujours insensible aux heurs et malheurs des familles déchirées ni à ceux des amoureux contrariés qui constituent la trame principale des séries évoquées. Ce genre de sujets n'est pourtant pas étranger à nos amateurs de drames sociaux ou psychologiques en séries. Avant les Turcs, les réalisateurs égyptiens, jordaniens, libanais et syriens en ont gavé les téléspectateurs jusqu'au vomissement. Il y eut aussi les Mexicains et les Brésiliens avec leurs sagas interminables.
Voyages et histoires d'amour C'est en définitive une manière comme une autre de voir du pays. Par fictions interposées, les téléspectatrices (surtout elles) font un peu le tour des pays qu'elles ne verront peut-être jamais avec des parents et des maris aussi fauchés que les leurs. Une manière aussi de vivre les plus bouleversantes histoires d'amour à travers celles des héroïnes de ces feuilletons, toujours plus belles et plus élégantes les unes que les autres. Cet amour passionné dont elles ne peuvent que rêver aux côtés de fiancés et d'époux, à leurs yeux, médiocres et incapables d'élans romantiques. Le voyage s'effectue également entre les chalets somptueux et les villas cossues qui contrastent totalement avec les appartements de location, exigus et sans relief ni charme, où elles croupissent depuis des années. Et ces meubles de luxe, et ces abat-jours et lustres de palais, et ce buffet Louis on ne sait combien, et ces chambres à coucher plus vastes que le stade de la Marsa, et surtout ces cuisines aux dimensions d'une cour de collège et qui ne manquent absolument de rien. L'on ne parlera pas de la garde-robe de l'héroïne qui compte autant d'articles luxueux que la plus fournie de nos boutiques de prêt-à-porter haut de gamme ! Ni de la grâce et de la délicatesse du Roméo qui s'est amouraché d'elle et qui est prêt à tous les sacrifices et à toutes les transgressions pour ses beaux yeux, voire pour son beau nez et ses minuscules oreilles.
L'illusion De temps en temps, des personnages au profil moins attrayant tiennent le devant de la scène, mais ils s'illustreront, pour compenser les imperfections physiques et la misère de leur condition, par leur haute moralité, par leur pureté d'anges bénis de Dieu, par leur grandeur d'âme, par leur bonté de cœur, leur abnégation, leur courtoisie chevaleresque et cette délicatesse dont ils sont désormais les seuls à faire preuve. Les feuilletons que les Tunisiennes suivent avec plus d'intérêt que les mouvements effectués sur leurs comptes bancaires et sur leurs carnets d'épargne, permettent à celles-ci de mener par procuration, le temps d'un épisode, la vie dont elles sont frustrées chez elles. Mais comme le feuilleton perdure et qu'un autre attend pour lui succéder, l'illusion se poursuit indéfiniment pendant qu'à côté le mari mal rasé puant la cigarette ou l'alcool ou ne sentant rien d'agréable, ronfle après avoir fait les comptes de la journée et évalué ceux du lendemain. Ce n'est pas pour dire que nos hommes sont plus réalistes ou qu'ils ne prennent pas leur dose de drogue télévisuelle quotidienne. Leur feuilleton à eux les promène d'un stade à l'autre, de la zone des 18 mètres adverse au point de pénalty de l'équipe fanion, du virage à la tribune, de la grille de Promosports à celle du Toto goal, de Dimanche Sports à Bel Makchouf etc. C'est à chacun son voyage illusoire mais nos hommes et nos femmes ont tout de même en commun, à propos de leurs feuilletons respectifs, la patience et la persévérance, deux qualités dont ils font malheureusement l'économie en plusieurs autres circonstances !