Jenayeh et Chiboub, la fin des pôles Le football tunisien prend un mauvais pli. Il y est, en effet, devenu difficile de démêler les mots et les choses et de le restituer à sa dimension ludique, qui est, pourtant, sa vocation originelle. On ne joue plus au foot, mais on joue, dans les coulisses, à guerroyer autour d'enjeux échappant au discernement des supporters, qui ne demandent pourtant qu'à aimer leur équipe, qu'à la voir gagner, dérivatif social en ces temps de sinistrose. Pourquoi implique-t-on les supporters dans des conflits d'intérêts auxquels ils sont étrangers ? Au nom de quelle éthique, des pratiques bassement contingentes et « mièvrement » politiciennes, marginalisent-elles les considérations sportives ? Ici, une fédération hétéroclite vit mal la fin d'un cycle de hautes turbulences et faisant de la résistance dans la pure tradition « clanique », sur fond de « groupements » d'intérêts. Lesquels ? Pas sportifs, en tous les cas. Il est de bon ton (sic), aujourd'hui, de tirer à boulets rouges sur l'arbitrage. Trop facile. Ignoble dans une certaine mesure, plutôt dans la mesure où l'on feint d'ignorer les pressions auxquelles sont soumis les arbitres à la faveur de ces forces occultes transperçant les « murailles » (resic) fédérales. Là, des clubs en déconfiture où l'on « s'entre-tue » pour le « fauteuil », avec une caste formant un bureau directeur opaque parce que frileux et en face, des assauts sonnant la charge pour les élections à la prochaine assemblée. Sinon, des « Don Quichotte », du genre du président hammam-lifois, jouant aux frondeurs, mais ne sachant trop contre qui croiser le fer, ou alors de gentils garçons - comme le président du CAB - mais qui se retrouvent seul, dans leur naufrage parce que les notables n'ont pas tenu leurs promesses. Et le tout, sur fond de crise financière - il n'y a que l'Etoile et le Club Africain qui y échappent, relativement - avec des centaines de créances non honorées portées devant les tribunaux et presque tous les présidents des clubs risquant des poursuites pénales. Sommes-nous encore dans le sport ? Non. Sommes-nous encore dans ce romantisme associatif que tout un chacun regrette parce que personne n'est prêt d'oublier les sensations indicibles des temps héroïques, puis la joyeuse turbulence se nourrissant paradoxalement de ce que nous caricaturions comme amateurisme marron mais qui était beaucoup moins décapant de ce professionnalisme portant sur l'encanaillement et sur la clochardisation des valeurs... Sans doute, le football tunisien a-t-il perdu de ses repères, ces dernières années. La dépersonnification des clubs-phares n'a pas forcément entraîné la « démocratisation » dans la gestion. Quelque part, on en a fini avec le pouvoir autocratique pour basculer dans une « mécanique » autarcique à l'intérieur de cercles d'intérêts hermétiquement fermés. Mais il y a un effet récurrent : sans « Jurrassik park » les clubs, les grands clubs, se « clochardisent ». Car, aujourd'hui, presque personne n'est au-dessus de la mêlée. Il n'y a plus de pôles clairement antagonistes. Faut-il pour autant regretter, par exemple, ces dix années de rivalité acerbe, exacerbée, personnelle même entre Jenayeh et Chiboub ? Certes non, même si l'Etoile et l'Espérance auront vu leur gigantisme culminer en cette période avec les effets, par ricochet, bénéfiques pour l'Equipe Nationale... Avec du recul, l'un et l'autre doivent se dire que cela ne valait, peut-être, pas la peine d'aller aussi loin dans la vindicte. « Qu'est-ce qu'une brouille, si ce n'est qu'une autre façon de vivre ensemble », aurait dit Jean Paul Sartre. Il n'y a peut-être pas de sérieuses embrouilles dans les sphères dirigeantes actuelles. Mais ce qui est sûr c'est que tout est régi en termes de clans. Et c'est pire que les conflits personnels.