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La Majerda, fleuve en péril
La mamelle de la Tunisie victime de l'incurie
Publié dans Le Temps le 10 - 02 - 2009

Comme avec les êtres humains, on peut entretenir avec les cours d'eau des rapports affectifs très chaleureux, et a fortiori quand ces cours d'eau représentent pour vous ou pour votre communauté, une source vitale de production et de richesse. La Medjerda est la mamelle la plus généreuse du pays et qui arrose directement ou indirectement les terres tunisiennes du Nord jusqu'au Sud.
Les riverains de ce cher fleuve ne sont pas tous des romantiques, mais chacun d'eux a sans doute une longue histoire avec ce cours d'eau nourricier. Une histoire d'amitié, de connivence, de petits drames et de moments d'intense joie. L'enfance des voisins de la Medjerda âgés aujourd'hui de plus de cinquante ans est remplie de scènes tendres ou difficiles vécues au bord de la seule grande rivière du pays. L'un d'eux, un habitant de Medjez El Bab, se rappelle comment, à l'âge de cinq ans déjà, il se baignait dans ses eaux turquoise en compagnie de ses parents et de ses amis.
A l'époque, nous dit-il, on y pêchait du bon poisson d'eau douce et l'on ne craignait pas d'en tomber malade. L'eau de la rivière servait aussi au lavage de la laine et parfois de la vaisselle, tant elle était propre hors des saisons de fortes précipitations. Nous nous adonnions à nos jeux favoris sur la « plage » bien conservée du fleuve, sinon sur ses berges verdoyantes. Certes, en hiver et dans les périodes de crues, ce n'était pas toujours la gaîté qu'on lisait sur les visages, mais comme les inondations annoncent souvent les bonnes récoltes de l'été, on supportait le malheur avec une sorte de résignation en pensant qu'après la nuit viendra certainement le jour.
Aujourd'hui, les gens ne semblent plus avoir d'égards pour les cours d'eau naturels. Pas tous, mais la majorité des voisins de nos rivières et canaux ne mesurent pas le préjudice qu'ils causent à leur environnement et à ces eaux dont leurs vies dépendent dans un certain sens, en les polluant avec toutes sortes d'immondices et de déchets industriels. A plusieurs endroits, la Medjerda fait peine à voir à cause aussi de l'incurie des municipalités et de l'indulgence coupable de certains édiles à l'égard des pollueurs. Le présent dossier se veut à la fois un réquisitoire et un cri de détresse ! La protection de l'environnement passe, comme dans les grands pays et les grandes civilisations, par le respect de cet environnement ! Que chacun se pose la cruelle question : qu'ai-je fait pour sauvegarder la Medjerda ?

Menaces
Aujourd'hui, la plupart des villes traversées par le fleuve ont transformé ses deux rives en décharges tolérées. D'ailleurs, les citoyens ne sont pas les seuls à polluer le site. Il n'y a pas longtemps, du côté de Jendouba, les eaux usées de la ville et une bonne partie de ses déjections humaines étaient évacuées dans les eaux de la Medjerda. Les photos qui accompagnent ce reportage ont été prises il y a seulement une semaine à Jendouba et à Medjez el Bab, elles montrent bien que les riverains et les pouvoirs publics ont peu d'égards pour cette mamelle de la Tunisie qui, avec ses affluents, arrose plus de la moitié des terres du pays. A Medjez-el- Bab, des crevasses énormes se sont creusées des deux côtés du fleuve et menacent sérieusement les habitations et les commerces voisins. Comme la ville de Boussalem, Medjez-el-Bab eut à subir plusieurs fois de graves inondations qui coûtèrent très cher notamment en dégâts matériels. Néanmoins, la protection de la ville contre les crues ne semble pas constituer une urgence, puisque les projets présentés dans ce sens sont restés lettre morte. L'excuse invoquée est, comme l'on pouvait s'y attendre, leur coût trop élevé et l'absence de moyens.
Soit ! Et le modeste pont qui enjambe la rivière à l'entrée de la ville en venant de Béja ou du Kef, doit-il continuer indéfiniment à supporter tout le trafic qui passe par là ? Certes la ceinture qui fut créée, il y a plus de dix ans, autour de Medjez-el-Bab, a allégé le mouvement sur le pont mais l'ouvrage est encore l'unique voie de passage pour presque tous les véhicules qui entrent dans la ville ou en sortent. Concernant les piétons, le passage qui leur est réservé sur ce pont n'atteint même pas 50 centimètres de large, et au dire du maire de la ville, plusieurs personnes y ont trouvé la mort.
A propos des ponts toujours, il n'y en a qu'un seul dans chaque ville traversée par la Medjerda et l'on peut imaginer le trafic que chacun de ces ouvrages doit supporter. A Boussalem et à Jendouba, les vieux ponts métalliques ont été remplacés par d'autres en béton qui ne tiendront pas très longtemps s'ils continuent à être les seules voies de passage au-dessus de la rivière. D'un point de vue esthétique, les ponts construits sur la plus grande rivière de Tunisie n'ont absolument rien d'attrayant. On dirait que nos architectes des ponts et chaussées n'ont jamais fait de voyage en Europe, ni vu en photo un pont français, italien, britannique, allemand, autrichien, polonais, tchèque ou même irakien et égyptien ! C'est d'un neutre, d'un plat, d'un médiocre à faire douter de leur sens esthétique ! Eux aussi se retrancheront derrière la sempiternelle excuse du manque de moyens, mais faut-il des dizaines de milliards pour arrondir quelques lignes plates, pour ajouter un motif charmant, pour mettre un peu de fantaisie dans la conception des garde-fous et des rambardes ! Le pont n'est pas seulement une œuvre technique et bassement utilitaire, c'est un projet artistique et un témoin historique. Avec ces constructions sans relief, nous ne risquons pas d'entendre nos poètes chanter la fuite du temps sous le pont Mirabeau, mais ils pourraient le faire sous les ponts... « Miralaids » !
D'autre part, aucune rive de la Medjerda n'est protégée contre la pollution par des haies ou des barrières métalliques utiles par ailleurs pour préserver les riverains et leurs enfants des dangers de noyade. C'est vraiment triste d'entendre régulièrement d'adolescents ou de jeunes écoliers emportés par les eaux des rivières voisines de chez eux !
Au sujet des stations d'épuration qu'on a multipliées dans le cadre du grand projet baptisé « La Main bleue », c'est sans doute une bonne chose. Mais suffisent-elles pour empêcher certains industriels de déverser leurs déchets polluants dans la rivière. Comment amener les gens ordinaires à voir autrement le cours d'eau qui passe près de chez eux ? Comment faire retrouver à nos rivières leur dignité, voire leur sainteté ? Les peuples anciens vénéraient leurs fleuves et même leurs gués. Chez nous, on récompense par l'ingratitude l'eau qui nous fait vivre, on crache sur un don inestimable de la nature !


La vallée fertile
La Medjerda est l'unique et le plus long cours d'eau à écoulement permanent de Tunisie. Le fleuve est long de plus de 460 kilomètres et traverse le territoire tunisien sur 350 kilomètres. Sa source est située en Algérie dans la région de Constantine et son bassin s'étend sur 22.000 kilomètres carrés dont 16.000 en Tunisie. Le débit moyen de cette rivière à régime pluvial est de 29 mètres cubes à la seconde, mais pendant les grandes crues, il peut atteindre 1200 mètres cubes par seconde. La Medjerda charrie annuellement 800 millions de mètres cubes d'eau. Ses principaux affluents sont Oued Kasseb et Oued Béjà sur la rive gauche et Oued Mellègue, Oued Tessa et Oued Siliana sur la rive droite. Les principales villes tunisiennes traversées par ce fleuve dont l'embouchure est le golfe de Tunis, sont Jendouba, Boussalem, Testour, Medjez-el- Bab, Tébourba et Jédayda.
La vallée de la Medjerda est l'une des plus fertiles du pays et elle représente le 1/12ème de ses ressources hydriques. Equipé de plusieurs barrages dont principalement ceux de Sidi Salem (le plus important de Tunisie) et d'El Aroussiya, le fleuve est crucial pour l'irrigation et pour le développement de l'agriculture dans la région et aussi dans des zones très éloignées de la vallée et cela grâce aux projets étatiques visant à faire bénéficier les régions semi-arides des eaux du Nord du pays.
Du point de vue de son histoire, il est intéressant de savoir qu'à l'époque romaine cette rivière s'appelait Bagradas et qu'elle a été à l'origine de la fondation des villes de Chemtou et Utique. Il paraît même que l'emplacement de Tunis et de Carthage fut choisi en raison de la proximité de la rivière qui, rappelons-le, se jette non loin de là. On raconte par ailleurs que le fleuve était navigable avant la construction en 1975 du barrage de Sidi Salem.

Aveu d'impuissance
Nous nous sommes rendus samedi dernier à la ville de Medjez-el-Bab et avons constaté combien les citoyens avaient peu d'égards pour la rivière que leurs maisons et commerces longent. Malgré le nombre suffisant de conteneurs qu'il y avait sur les lieux, nous avons été témoins de gestes regrettables voire criminels de la part de quelques riverains comme ce cafetier qui vide toutes ses poubelles du côté de l'oued et ce poissonnier qui empeste l'endroit avec sa marchandise pourrie. A deux pas seulement de l'hôtel de ville, le panneau placé sur l'une des rives de la Medjerda et interdisant de jeter les ordures à cet endroit n'a pas suffi pour en dissuader les habitants voisins. Nous avons évoqué toutes ces scènes avec M. Ibrahim Saadaoui, maire de la ville, qui n'a pas caché son indignation devant une telle inconscience contre laquelle les amendes infligées régulièrement n'ont pas eu d'effet !
« Vous avez sans doute constaté que les conteneurs ne manquaient pas dans la zone. Des ouvriers municipaux passent régulièrement avec leurs chariots ou sur des tracteurs pour ramasser les détritus. Rien n'y fait ! Nous endurons parfois injustement les réprimandes de certains inspecteurs qui imputent ces agissements à notre incurie, alors que notre effort est constant pour que cessent les pratiques inciviques. Figurez-vous que devant les infractions répétées des citoyens nous n'avons pas trouvé mieux que de recouvrir les immondices entassées avec des talus de terre géants ! »
Et pour le pont, qu'envisagez-vous pour alléger son trafic et y faciliter le passage des piétons ?
« Vous devez savoir que la situation actuelle du pont est meilleure qu'il y a quelques années, à l'époque où le périphérique n'existait pas encore. Tout le trafic entre le nord- ouest et la capitale transitait par notre ville équipée de cet unique pont de près de 400ans. Les touristes maghrébins empruntaient aussi ce passage pour atteindre Tunis. Il existe un vieux projet qui n'a malheureusement jamais été retenu, à savoir la construction d'un deuxième pont qui donnerait sur la zone industrielle et la route vers la gare ferroviaire située à quelques kilomètres de la ville. Le budget de la municipalité ne pouvait pas supporter le coût d'un tel projet et l'Etat n'en avait pas décrété l'urgence. Après les inondations successives de 2003 et 2004, une étude fut réalisée en vue d'un projet qui protégerait la ville contre les crues, mais les fonds nécessaires ont manqué et manquent toujours. »
Et en attendant ?
« Pour l'heure, nous nous contentons de solutions de replâtrage : sur le pont, la circulation des gros véhicules est désormais formellement interdite. Pour les piétons, nous en sommes seulement à l'étude de la faisabilité d'un petit projet qui consiste en l'installation des deux côtés du pont de sortes de passerelles relativement larges. Contre les dégâts que les crues peuvent occasionner, nous avons entrepris sur deux mois et avec l'aide du Ministère de l'Agriculture et des ressources hydrauliques des travaux de curage profond qui ont permis de dégager les grands trous conçus pour l'évacuation des eaux en cas de grande pression. Parmi les causes premières des dernières inondations se trouvaient en effet ces bouches obstruées. Concernant la construction de belles corniches des deux côtés de l'oued, une étude récente a révélé que pour notre ville seulement, il faudrait débloquer un budget de 33 milliards de nos millimes ! Vous comprenez sans doute pourquoi de tels projets sont abandonnés au profit d'autres moins coûteux et à utilité immédiate. Nous sommes tous pour la protection de l'environnement, pour le respect des sites écologiques, mais certaines priorités nous font renoncer provisoirement à nos rêves les plus chers. Ici, à la mairie, nous aimerions tant nous consacrer aux grands projets, mais nous en sommes toujours réduits à gérer le quotidien dans ce qu'il a de plus terre à terre. »


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