La révision de la grille des salaires reste un sujet toujours d'actualité, et il l'est encore depuis la signature des derniers accords sur les augmentations salariales. Dans le secteur de la fonction publique, ces augmentations comme toutes les précédentes, n'ont fait que perpétuer, sinon qu'accentuer les écarts entre les salaires des différentes catégories professionnelles et même au sein d'un même corps. Le fossé se creuse en effet entre les mensualités des fonctionnaires qui appartenaient il n'y a guère longtemps au même grade. D'autres cadres touchent mensuellement plus que des agents plus diplômés qu'eux. Et cela pose un vrai problème concernant les critères retenus pour payer les fonctionnaires : leurs salaires sont-ils fixés en fonction de leurs diplômes et de leurs années d'études ? Ou bien sont-ils rémunérés sur la base de leurs compétences ? En tout cas, et quel que soit le paramètre retenu, des « injustices » sont commises dans le paiement du labeur des uns et des autres.
Le fossé se creuse entre les homologues d'hier ! Dans les années 80, les professeurs du secondaire revendiquaient l'alignement de leurs salaires sur ceux de leurs «homologues », les ingénieurs et les magistrats. Aujourd'hui, cette revendication n'est plus possible puisque, d'abord, les juges sont rattachés à un autre corps ne figurant pas sur ceux inscrits dans la fonction publique, d'autre part le nombre d'années d'études pour devenir magistrat est passé de 4 à 6. Concernant les études d'ingénieur, elles s'étalent sur 5 années (2+3) alors que la maîtrise obtenue au terme de 4 années d'études universitaires suffit pour aspirer au poste de Professeur d'enseignement secondaire. Mais que touche actuellement un juge après ses 6 années d'études ? il perçoit à l'embauche plus de 1100 dinars et termine sa carrière avec un salaire avoisinant les 2 millions de nos millimes. C'est-à-dire qu'il touche autant sinon plus qu'un professeur d'université, ce dernier atteint rarement les 1900 dinars quand il est « plafonné ». L'ingénieur, lui, commence à plus de 800 dinars pour toucher jusqu'à 1400 dinars et plus en fin de carrière. Le PES, pour sa part, entame sa carrière avec un salaire dépassant légèrement les 600 dinars et n'atteint jamais les 1200 dinars nets d'impôts. Ce sont, rappelons le, les écarts que nous contestons en fait et pas du tout les salaires. Parce que les juges tout comme les professeurs et les ingénieurs restent encore « sous-payés » si l'on compare leurs émoluments à ceux de leurs homologues européens.
Disparités Entre enseignants, les disparités se multiplient parfois sans raison et quelques écarts sont tout simplement inéquitables : comment en effet expliquer que le salaire d'un inspecteur du primaire augmente de 182 dinars alors que celui du professeur agrégé ne soit majoré que de 153 dinars seulement. Ce dernier est également lésé si l'on tient compte du fait que l'augmentation dont il bénéficie est la même accordée au PES titulaire d'une maîtrise, alors que comme chacun sait, l'agrégé a une année d'étude de plus et passe un concours des plus difficiles pour obtenir son diplôme supplémentaire. Au sujet des inspecteurs, les augmentations qui les concernent atteignent 226 dinars pour l'inspecteur général et avoisinent les 200 dinars pour le principal et l'inspecteur vie scolaire : au vu de quoi percevront-ils plus que les titulaires des mêmes diplômes qu'eux ?
Quel critère adopter ? Si l'on se fonde sur les diplômes obtenus et les années d'études passées après le baccalauréat, certains écarts n'ont plus raison d'être ; on devrait même dédommager ceux qui en ont pâti (et ce ne sera pas une première en Tunisie). Si ce sont les compétences qui priment dans la fixation des salaires, là il faudrait repasser au crible tout le monde. Parce que dans certains métiers bien rémunérés, le travail des fonctionnaires qui les exercent est aux deux tiers accompli par les adjoints et auxiliaires. Il paraît que dans certains secteurs, les adjoints sont de loin plus compétents que leurs supérieurs hiérarchiques. Mais ce sont souvent ces derniers qui cueillent les fruits bien « juteux » de leurs efforts ! En fait, ce qui crée et accentue les écarts entre les homologues de la fonction publique, c'est que dans certains corps, les possibilités de promotion aux grades supérieurs sont plus nombreuses que celles offertes dans d'autres. Pour prendre l'exemple des enseignants du secondaire, il n'existe pas autant de grades dans leur profession que dans celle d'ingénieur. C'est la raison pour laquelle leur syndicat revendique régulièrement la création de nouveaux grades, chose que la loi régissant la fonction publique n'interdit guère. Il faudrait aussi voir du côté des primes spécifiques à chaque corps : un fonctionnaire de la catégorie A1 ou A2 dont on n'exige que la maîtrise n'est pas payé de la même façon selon qu'il appartienne au corps du personnel enseignant ou à celui des inspecteurs pédagogiques.
Le mastère au CAPES : les salaires suivront-ils ? Autre problème dans l'enseignement : maintenant que l'on projette d'exiger le Mastère pour participer au concours du CAPES, les candidats qui auront réussi et qui seront nommés au titre d'enseignants du secondaire verront-ils leurs salaires augmenter et par exemple rivaliser avec ceux des juges et des ingénieurs, étant donné qu'ils seront recrutés après 6 années d'études et sur la base d'un diplôme du 3ème cycle ? Quelle différence de salaire existera-t-il entre eux et les maîtrisards actuels qui n'ont pas encore réussi au CAPES ? Si maîtrisards et titulaires du mastère reçoivent un salaire identique, n'est-ce pas une autre injustice ? Actuellement, la seule concession accordée aux détenteurs d'un mastère c'est de bénéficier d'un bonus en cas de candidature au grade supérieur et d'une réduction symbolique des heures de travail. Idem pour les titulaires d'un doctorat qui, faute de débouchés au Supérieur, continuent d'enseigner au secondaire sans que leur salaire augmente conséquemment. N'est-ce pas une autre injustice ?
Souhaits Il ne faut pourtant pas rêver : l'équité dans la grille des salaires n'est pas pour demain. Et les lois qui fixent les salaires de la fonction publique tiendront toujours compte dans chaque augmentation des différences entre les catégories professionnelles et les grades. Ce que l'on peut en revanche souhaiter et c'est tout à fait légitime, c'est que les écarts difficilement justifiables disparaissent ou soient considérablement réduits, que le même nombre d'années d'études soit récompensé par des salaires égaux ou proches. Si vraiment on cherche à se rapprocher le plus possible de l'équité, ce n'est pas trop demander aux autorités compétentes !