On n'en connaît pas le nombre exact mais, en Tunisie, les ateliers de mécanique auto se sont multipliés d'une manière soutenue depuis les années 80. Ces locaux se conforment très rarement aux dimensions exigées et leurs propriétaires font plutôt fi des normes de sécurité et d'hygiène minimales. Quant au respect de l'environnement, il vaut mieux ne pas en parler avec ces artisans dont la plupart ont « appris » leur métier sur le tas. En effet, et jusqu'à nouvel ordre, il n'existe pas, chez nous, d'établissements universitaires spécialisés dans la formation de vrais professionnels qualifiés en mécanique-auto ou en électronique auto. Apprentis sorciers, les « garagistes » tunisiens sont accusés de tous les maux par leurs clients. Que leur reproche-t-on au juste ? Sont-ils à ce point incompétents. Ou malhonnêtes ?
Le présent dossier donne la parole aux uns et aux autres pour mieux comprendre ce qui se passe dans un secteur plutôt anarchique. Il pose les diverses problématiques qui rencontrent les propriétaires de voitures en cas d'un quelconque pépin. Lesquels propriétaires sont malmenés par les mécaniciens et il y a lieu de noter l'absence d'une quelconque autorité de recours, en cas de litiges. Le secteur n'étant pas normalisé. La plupart des professionnels ne soumettent pas de devis à leurs clients qui sont généralement désabusés par les pratiques dans le secteur. Par ailleurs, il y a un problème étroitement lié à celui des mécaniciens, celui qui se pose dans le marché des pièces de rechange et touche à la qualité et au prix des originales et des adaptables. Des automobilistes en parleront en connaissance de cause, mais la parole sera donnée également au commerçant qui vend ces pièces. Badreddine BEN HENDA Légende : La plupart des professionnels ne soumettent pas de devis à leurs clients (Photo Agence Chaïrat)
Moncef Zaouali (chauffeur de louage) « 35 ans de mésaventures avec les mécanos » « La mécanique auto en Tunisie, il vaut mieux ne plus en parler ! N'importe quel apprenti peut, aujourd'hui, ouvrir son garage après une courte période passée dans l'atelier d'un professionnel. Ce sont ces intrus qui ont défiguré le métier. Vous leur remettez votre voiture pour une panne simple, ils vous la rendent dans un piteux état. La réparation pour eux est un jeu de devinettes : quand ils ne découvrent pas d'instinct l'origine de la panne, ils montent et démontent tout sous le capot jusqu'à la trouver. Au final, ils vous auront ruiné pour un défaut anodin ; et vous ne pouvez même pas porter plainte. J'ai bien des histoires à raconter sur ces artisans qui se disent mécaniciens, électriciens, tôliers et prétendent s'y connaître en peinture-auto également. » Le Temps : Ne vous privez pas, racontez ! Nous vous suivons ! Moncef Zaouali : «Une fois, j'ai emmené ma voiture dans un garage parce qu'elle faisait un bruit étrange. Le réparateur hésite un moment après en avoir cherché partout l'origine, puis décide : c'est un problème de courroie ; j'en achète une de neuve. Mais le bruit est encore perceptible ; alors le mécanicien se tourne vers l'alternateur pour l'ouvrir et affirmer avec la certitude du médecin qui a diagnostiqué juste le mal de son patient : il faut changer l'induit ! Toujours rien, le bruit persiste. Au troisième jour, le garagiste est plus sûr que jamais : c'est la poulie de l'alternateur qui provoque le bruit suspect. On démonte de nouveau l'alternateur pour finalement corriger le défaut qu'il y avait dans le système d'arrêt de la poulie. Il n'y avait, certes, plus de bruit, mais la courroie neuve que j'ai achetée s'est déchiquetée au bout de trois jours. Le monsieur l'a mise à l'envers ! » Et comment s'y prennent-ils dans les travaux de tôlerie ? « Là, ils ne font que colmater les brèches avec les instruments rudimentaires du plombier de quartier : un chalumeau, un marteau de dressage, quelques produits de soudure et beaucoup de mastic. Avec ce matériel minimal, ils arrivent malheureusement à piéger des centaines de victimes ! » Parlez-nous un peu du marché des pièces de rechange. « Aujourd'hui, les produits de contrefaçon envahissent tous les marchés, même dans les grands pays industrialisés. Sur la pièce ou l'emballage, l'étiquette selon laquelle la marchandise est originale n'inspire plus confiance à personne. Figurez-vous que les représentants des maisons mères vendent eux-mêmes des pièces contrefaites et, qui plus est, au prix des originales ! Pour ce qui est des batteries et quelle qu'en soit la marque, leur durée de vie n'excède jamais 12 mois. Concernant les pneus, nous les achetons à Ben Guerdane, en Libye ou en Algérie ; c'est moins cher et d'une qualité meilleure que de ce qu'on fabrique en Tunisie !
Khaled Boudhraâ (jeune chauffeur) : Des tarifs de cliniques « Les mécaniciens pratiquent des tarifs excessifs et se prennent pour des médecins spécialistes exerçant dans les cliniques privées. Pour réparer la plus bénigne des pannes, ils demandent au moins dix dinars. Concernant votre sujet sur les pièces de rechange, regardez le verre éclaté de ce pare-brise neuf acheté il y a quelques jours ! Cela vous donne une idée sur la qualité des produits du marché parallèle, mais nous n'avons pas d'autre solution que d'acheter les pièces adaptables. Les originales sont hors de prix. Par exemple le rétroviseur de ma nouvelle voiture n'existe qu'en modèle original et coûte 194 dinars ! » Propos recueillis par B.B.H.
La parole au mécano Fathi Jemal (mécanicien depuis 45 ans) « Nous ne sommes pas suffisamment équipés pour la réparation des derniers cris de la technologie automobile » Le Temps : Tout le monde se plaint de l'incompétence des garagistes. Qu'avez-vous à répondre pour votre défense ? Fathi Jemal : « Si nos clients se plaignent, ce n'est pas seulement notre faute. Leurs voitures sont pour la plupart bonnes pour la casse. Même les plus neuves d'entre elles. En ce qui nous concerne, nous autres réparateurs, il faut reconnaître que les vrais professionnels sont de plus en plus rares. Pour moi, il n'existe plus de bons mécaniciens depuis 2001, c'est-à-dire depuis que de nouvelles générations de voitures sophistiquées ont débarqué en Tunisie. En effet, nous ne sommes pas suffisamment équipés pour la réparation des derniers cris de la technologie automobile. J'ai personnellement choisi depuis quelques années de me lancer dans le commerce de la ferraille, et je ne répare que très rarement les voitures. Hormis quelques bons clients et amis, je ne rends plus ce service à personne. D'autre part, il faut savoir que les nouveaux appareils et machines indispensables à notre métier coûtent trop cher. Sans compter que, pour employer quelqu'un afin qu'il travaille dessus, on ne peut pas embaucher un apprenti sans expérience ni qualification. Des aides compétents, c'est une denrée extrêmement rare de nos jours. » On vous reproche aussi de pratiquer des prix excessifs pour des services qui ne les valent pas vraiment. En plus, vous ne proposez jamais de devis détaillés aux clients. » « Ah non ! Moi j'en propose souvent à mes clients ; mais je comprends les autres gens du métier qui ne le font pas. Certains clients refusent, en effet, de payer les réparations supplémentaires qui ne sont pas mentionnées sur le devis, comme quoi, ils n'en voient pas l'utilité et vont jusqu'à nier l'existence de la défectuosité au moment où la voiture est entrée dans le garage. Je me suis fait piéger tellement de fois que je ne dresse plus de devis à personne. Je n'accepte plus les chèques par ailleurs parce qu'il y en a qui restent impayés des mois durant. Quant à garder la voiture en gage dans mon atelier, cela se fait toujours à mes dépens puisque celle-ci me prend de la place et reste sous ma responsabilité ! » A propos de local, certes, le vôtre est spacieux et relativement propre ; mais ce n'est pas le cas pour tous les autres ateliers. C'est vrai, n'importe qui, aujourd'hui, se dit mécanicien et ouvre son atelier n'importe où ; même dans un minuscule débarras. Que voulez-vous, peut-il en être autrement lorsqu'on délivre un agrément à quiconque le demande ?!
Le commerce des pièces de rechange M.Mohamed Lassaâd Ezzine (vendeur de pièces de rechange pour tous véhicules) : Notre marge bénéficiaire sur la pièce vendue ne dépasse presque jamais les 20% de son prix Avec M.Mohamed Lassaâd Ezzine (vendeur de pièces de rechange pour tous véhicules), nous avons d'abord voulu savoir si les pièces adaptables peuvent, sans endommager la voiture, remplacer les originales. « Vous savez, quand il ne s'agit que de phares, de feux-avant, d'ampoules ou de courroies, les adaptables sont aussi bonnes. Mais si la panne concerne une pièce du moteur, comme la bielle, le vilebrequin, le joint de culasse, le coussinet ou la soupape, je ne peux répondre de leur efficacité. » Le Temps : Mais les autres pièces coûtent trop cher quand elles sont d'origine. Mohamed Lassaâd Ezzine : « C'est vrai, et nous comprenons tout à fait les clients qui fuient les originales. Je vous donne quelques exemples des plus probants : une bougie d'origine est à 40 dinars et elle n'en coûte que 7 quand elle ne l'est pas ; un filtre à huile adaptable se vend à 7 ou 8 dinars alors que l'original en vaut le triple ou le quadruple. Idem pour le filtre à mazout qui revient à 12 dinars, c'est-à-dire 4 fois moins cher que quand il est d'origine. Le filtre à air du marché parallèle est proposé à seulement 15 dinars au lieu de 40. Cela dit, et pour certaines pièces apparemment mineures, il vaut mieux ne pas lésiner sur les moyens : prenez le cas des patins de freins, le produit tunisien- qui ne coûte que 18 dinars- a la vie trop courte, tandis qu'un patin d'origine (à 120 dinars) tient plus longtemps que le véhicule lui-même. » Comment jugez-vous les clients qui se plaignent de vos prix ? « Ils ne savent peut-être pas que notre marge bénéficiaire sur la pièce vendue ne dépasse presque jamais 20% de son prix. Mais les acheteurs sont tous comme ça, à propos de tout, ils nous demandent des remises de 10% ! Mais alors que nous laissent-ils ?! Franchement, jamais nous n'avons vécu une crise aussi aiguë dans le secteur !