Les ratios de l'université tunisienne sont impressionnants en égard aux dix millions d'habitants peuplant la Tunisie. Un jeune sur trois, dans la tranche d'âge 20 à 24 ans, est étudiant. L'université tunisienne compte, actuellement, 370.000 étudiants encadrés par près de 20.000 enseignants dans plus de 200 établissements supérieurs qui délivrent en moyenne près de 70.000 diplômes à chaque fin d'année universitaire. Mais, la répartition déséquilibrée des diplômés aux dépens des sections d'engineering et des TIC les a handicapés en termes d'employabilité. Seuls, moins de 25 % des étudiants étudient dans ces créneaux à haute valeur ajoutée. Pourtant, les porteurs de diplômes dans ces domaines peuvent aspirer à une implantation plus rapide sur le marché de l'emploi. Ainsi présenté, l'accès à l'enseignement supérieur a certes été facilité mais le tribut de cette massification est lourd. Le taux de chômage chez les diplômés ne cesse de croître, il a déjà atteint 19 % alors que le taux général de chômage n'est que de 14 %. D'ailleurs, ces 19 % risquent de croître davantage du moment que les projections avancent une progression soutenue du nombre de diplômés jusqu'en 2014. Et même si la répartition de la nature des diplômes va évoluer, d'ici là, sensiblement vers les sections technologiques, les prospections ne sont pas prometteuses en matière d'employabilité surtout après l'avènement de la crise financière internationale dont on ne connaît pas encore l'issue et, encore moins, la durée. De telles raisons ont fait que la création d'emplois soit l'objectif prioritaire de la stratégie nationale de développement. Lequel objectif n'est certes pas dissocié de la croissance économique. Mais, des problèmes se posent concernant le savoir-faire des jeunes diplômés et leur intégration sur le marché de l'emploi pour qu'ils apportent la plus-value escomptée.
Formation académique et intégration professionnelle En d'autres temps, la problématique ne se serait pas posée. Le diplômé disposera du temps qu'il faut pour s'intégrer dans son nouvel emploi surtout qu'il dispose des connaissances académiques suffisantes pour assimiler son nouveau rôle. Mais, par les temps qui courent et la concurrence féroce sur la scène internationale, tout investissement en ressources matérielles ou humaines doit avoir son retour d'investissement. Une création de poste vient en réponse à un besoin dans le processus de production. Et c'est justement à ce niveau que se pose la problématique de synergie entre la formation académique et le souci de l'intégration professionnelle. Les employeurs prétendent qu'une bonne partie des diplômés ne dispose pas du minimum de savoir-faire requis pour apporter la plus-value nécessaire à la croissance de l'entreprise. Face à la généralisation de ce constat, les académiciens de l'université ont introduit la réforme " Licence-Master-Doctorat " avec ses variantes de Licence professionnelle, Master professionnel, etc. En plus de la poursuite du créneau de formation académique classique à l'université. L'année universitaire 2008-2009 a également connu la création de plus de 100 Masters professionnels à l'intention des diplômés en mal d'emploi et qui absorbent près de 30.000 étudiants. Cette formation vise l'objectif d'initier les connaissances académiques de ces diplômés avec certains créneaux porteurs du marché de l'emploi qui ont été conçus en concertation avec les employeurs. Toujours dans ce même cadre d'intégration des étudiants à la sphère de production, la loi récemment promulguée sur la formation appliquée vise à les initier par un Projet de Fin d'Etudes conçu de concert avec un établissement administratif, industriel ou commercial. Lequel PFE est préparé pendant la 3ème année et soutenu pour obtenir la licence. L'administration a donc élaboré de multiples programmes pour répondre aux soucis de la capacité du diplômé à répondre aux exigences du marché de l'emploi. Mais a-t-elle fourni à ces programmes les moyens de leur réussite.
Carence d'encadrement Tous les experts affirment que La réforme LMD nécessite une infrastructure de base très développée en matières de documentation et de recherche appliquée pour faciliter le recours aux passerelles entre les branches et faire bénéficier les étudiants d'une formation appropriée, notamment, dans les sciences appliquées. Il ne s'agit pas de coller la carcasse de l'expérience européenne et d'omettre de lui fournir un fond similaire. Or, l'expérience de ces trois années LMD a montré que peu de choses ont été entreprises pour développer ce fond, surtout au niveau des nouveaux établissements universitaires. Ces derniers ouvrent leurs portes et restent pendant des semestres sans laboratoires équipés, ni bibliothèques et, encore moins, un nombre suffisant d'enseignants spécialisés. Pourtant, les compétences ne manquent pas sur le marché de l'emploi. Mais, l'administration se suffit à nommer un maitre-assistant à la tête d'un ISET. Elle lui affecte une dizaine d'assistants, lui attribue une bâtisse moins équipée qu'un centre sectoriel de formation professionnelle (ces derniers sont, pour leur bonheur, équipés dans le cadre du partenariat avec l'Union Européenne) et lui demande d'assurer une formation universitaire dans le cadre de la réforme LMD qui prône la qualité. Une telle démarche a été appliquée à plusieurs reprises et elle ne saurait déboucher sur une formation de qualité du moment qu'elle ne dispose pas des conditions minimales pour réussir. Tous les spécialistes sont unanimes pour dire que la qualité nécessite des conditions minimales pour l'obtenir : d'une part, une infrastructure adéquate en matière de laboratoires et de documentation pour permettre aux étudiants d'acquérir les connaissances académiques dans les cours et les revues scientifiques. Laquelle théorique, les étudiants vont vérifier sur le terrain expérimental dans les laboratoires. D'autre part, un encadrement de qualité est exigé pour fournir aux étudiants la théorie dans les cours et les orienter dans leur parcours de recherches. Choisir de professionnaliser l'enseignement n'est pas une option erronée. Mais, il est nécessaire d'édifier des laboratoires, d'équiper des bibliothèques et de recruter des encadreurs. L'université ne saurait réussir sa réforme avec un taux de 15 % de corps A, celui des professeurs et des maîtres de conférences, celui-là même qui est appelé à assurer l'encadrement des Masters et des PFE. Comment pourrait-on assurer l'encadrement de 30.000 Masters par moins de 3.000 encadreurs qui sont appelés à encadrer également les doctorats et à faire de la recherche. L'université vit un manque notable en matière d'encadrement et le questionnement est d'autant plus légitime que les compétences existent. Donc, qu'est-ce qui empêche l'administration de les enrôler pour renforcer le potentiel formateur de l'université ? Est-ce un problème de fonds alloués à ces recrutements ? Car , si on a opté pour la massification de l'enseignement supérieur, on ne doit pas omettre que la qualité et le recrutement des encadreurs est l'une des conditions de la réussite d'une telle performance. Autrement, le résultat de ces différents programmes ne saurait être élogieux.