Cela fait quelques années qu'un nouveau phénomène social est né, il s'ajoute à la liste noire qui s'allonge de plus en plus et augmente nos inquiétudes quant au devenir de nos jeunes. Ce nouvel aria est d'autant plus inquiétant qu'il prend racine dans le monde scolaire où doivent normalement pousser les bonnes valeurs. Sur cette terre saine et fertile, irriguée de morale et de savoir, où doivent germer de belles roses exhalant des parfums suaves, on cultive des cactus, ces plantes sauvages altèrent le sol et amochent le paysage. Nous voulons parler de la grande zizanie provoquée par l'examen de l'éducation physique pour les classes terminales, le bac sport pour lequel on organise des festivités dignes de celles qu'on voit dans les stades de football. On en a emprunté l'organisation et les techniques, l'ambiance et l'esprit fanatique. Comme celles réalisées par le public footballistique, elles sont baptisées " la sortie du bac sport. " C'est en fait une sortie du droit chemin, une déviation comportementale. Dans cette période cruciale de fin d'année, on ne doit même plus sortir de chez soi pour ne pas perturber sa concentration et être fin prêt pour l'examen final, l'examen capital, le vrai.
Un élément perturbateur Le bac sport devient un élément perturbateur. Il participe dans une très large mesure à l'anarchie qui sévit dans les lycées pendant pas moins de deux semaines : les cours sont séchés et la cour est couverte de tapis, elle est ainsi transformée comme par miracle en une salle de gymnastique. Depuis le matin jusqu'au soir, on fait de l'enchaînement sans relâchement, car on est pressés et le temps est précieux, on varie les gestes et les positions : le grand écart, l'harmonie des mouvements des pieds et des mains, le poirier, les acrobaties, on roule comme un tonneau, on saute le plus haut qu'on peut pour assouplir son corps raidi tout au long de l'année par le manque d'activité. N'ayez crainte, nous disposons de magiciens qui, grâce à la " générosité matérielle" de leurs élèves, sont capables de faire d'eux, en un temps record, de grands gymnastes, et même des champions olympiques s'il le faut. Les adeptes des méthodes scientifiques n'ont qu'à voir les " prouesses " réalisées par nos candidats : à la place de la persévérance et l'application, on mise sur la chance et la détermination, on se dépense à fond en très peu de temps, c'est notre tactique de prédilection. En fait, que l'on échelonne ses efforts sur une année ou qu'on en fait usage une seule fois, la veille de l'examen, cela revient au même, puisque dans les deux cas, on aura fourni la même énergie. Cette méthode, on l'emploie à l'examen de sport et aussi dans celui des autres matières. Néanmoins, si pour ces dernières nos candidats sont fautifs et qu'ils puissent et doivent s'organiser autrement, ils n'ont pas le choix pour le premier, le procédé leur est imposé, puisqu'il n'y a presque pas de sport scolaire au cours de l'année.
Une infrastructure quasiment inexistante La plupart des lycées ne sont pas dotés de terrains omnisports, et ceux qui ont la chance d'en avoir ne peuvent pas les utiliser régulièrement, car quand il pleut, ils deviennent impraticables. Les terrains et leur état ne constituent pas le seul souci pour les professeurs et leurs élèves, il y a également le matériel dont la plupart, du moins celui utilisé pour le bac sport, fait défaut dans plusieurs établissements pour ne pas dire dans la majorité d'entre eux. Les tracas de ces derniers ne s'arrêtent pas ici, les vestiaires et les douches manquent aussi. On évite de parler des salles couvertes, étant donné que ce serait vu comme trop demandé, pour la gymnastique, on se couvre du ciel lorsqu'il fait beau ou bien du préau s'il y en a, sinon on annule la séance et on passe à la salle de permanence, là aussi s'il en existe bien sûr, dans le cas contraire, on a une alternative : rester devant le lycée ou dans la cour, ou prendre le chemin de chez soi ou d'un autre endroit si on n'a pas cours. A chaque fois que cette situation se présente, c'est-à-dire quand il fait mauvais temps, ces solutions sont les seules possibles pour toutes les activités et non seulement pour la gymnastique. Donc ni cette discipline, l'épreuve la plus redoutée et la plus prisée, ni les autres plus simples comme les jeux de ballon ne bénéficient d'aucun intérêt, toutes ces activités sont prévues juste pour meubler le programme. Tout au long de l'année, on se contente de jouer au ballon ou bien de faire des tours de piste, et à l'approche du bac sport, on se retrousse les manches et on se met à exercer des activités auxquelles on s'est adonné peu ou pas du tout. Tout le monde devient subitement sportif, l'école est métamorphosée en un grand stade au point que les enseignants des autres disciplines en particulier ceux parmi eux qui ont des classes terminales se sentent de trop, puisqu'ils travaillent dans des salles vides ou presque. Par leur comportement saugrenue, les élèves deviennent méconnaissables, ils vous donnent l'impression que vous n'êtes pas dans une école: le tablier est laissé à la maison, il est remplacé par le survêtement pour les pudiques et par d'autres tenues moins décentes pour les exhibitionnistes. Il ne faut pas les blâmer dans des circonstances pareilles, on est dans un festival ou plutôt dans un carnaval où tous les déguisements sont permis, c'est une ambiance de fête qu'il faut savoir allumer pour que l'on puisse s'extasier.
Le grand show Après les préparations sportives, viennent les préparatifs festifs. Ce grand événement doit mobiliser l'effort de tout le monde et engager de grandes dépenses : ces sommes sont évaluées à quelques millions. Ne soyez pas surpris et ne croyez pas que l'estimation est exagérée, un petit calcul approximatif vous en persuadera. Les ingrédients de cette fête sont très variés : vous avez tout d'abord les fumigènes dont le prix unitaire est de l'ordre de 25 dinars, et vous savez qu'on en utilise des centaines pour ne pas dire des milliers. Il y a aussi les pots de peinture pour les pancartes et les teeshirts à 7 dinars l'un, portant les inscriptions d'appartenance au lycée, à la section et à la classe sans compter le carburant pour les voitures qui sont les moyens indispensables de ce grand show. Faites le calcul et vous aurez la facture. La liste de ces éléments festifs n'est pas exhaustive, il en manque un autre qu'on ne peut pas se procurer sur le marché, vu les conditions légales exigées, alors on s'arrange pour l'avoir et le procédé le plus simple c'est de le voler : il s'agit des extincteurs dont la mousse carbonique blanche donne une teinte artistique à la fête en ajoutant de la couleur à un spectacle déjà haut en couleurs. Plusieurs locaux ont fait l'objet de ces actes de vandalisme : une clinique, une station service, une maison de jeunes, une école privée... Ces jeunes jouent avec la mort en se jetant des fumigènes et en s'aspergeant de mousse carbonique : il y en avait quelques uns qui étaient brûlés. Des rixes ont éclaté devant quelques lycées entre des élèves appartenant à des sections différentes, devant l'un d'entre eux se trouvant à la banlieue nord, l'administration a fermé les portails à la récréation tellement les rivaux étaient déchaînés, ces derniers sont restés dehors et les cours n'ont pas pu se dérouler. L'appartenance au lycée, à la section et à la classe devient similaire à celle au club sportif : ce sont des hooligans formés dans des établissements scolaires, de jeunes délinquants " incrustant " de propos orduriers leurs chansons. Ce comportement pathologique, irresponsable et enfantin nous alarme et nous laisse nous poser mille et une questions sur leur maturité et leur niveau intellectuel. Imaginez qu'en pleine révision, ils restent jusqu'à une heure tardive de la nuit à chercher ces produits de la destruction. D'ailleurs certains parmi eux ont été braqués par des bandes de malfaiteurs éclairés sur leur projet qui devient saisonnier et qui n'est plus un secret pour personne.
Les vrais responsables de ces dérapages Mais après tout, les incriminer serait injuste à leur égard, puisque la plupart d'entre eux sont mineurs. En réalité, ils sont victimes, les vrais responsables sont les parents qui leur fournissent tous les moyens, l'argent et la voiture et qui les mettent ainsi en péril ; l'autre partie à inculper est bien sûr l'école : elle est appelée à rendre plus rigoureuses ses règles disciplinaires pour que ces fraudeurs retrouvent leur statut d'élèves et qu'elle redevienne le sanctuaire de l'éducation et du savoir qu'elle a toujours été. On salue l'effort de la police qui a limité les dégâts par son intervention énergique en mettant en fourrière ces voitures surchargées par des garçons et des filles en décolletés, s'asseyant sur les plafonds et les capots, passant la tête à la portière, brandissant les bouteilles de champagne et les boîtes de bière, et proférant des grossièretés, ces voitures étaient guidées par des adolescents enivrés et en furie semant ainsi la panique parmi les piétons et les automobilistes à tout coin de rue et provoquant des accidents. Si nous voulons mettre fin à ces dérives et éviter le désastre, toutes les parties qu'on vient de désigner doivent assumer pleinement leur responsabilité. Toutefois, il n'y a pas qu'elles qui soient concernées, les médias le sont également et au même titre, ils doivent participer à conscientiser les jeunes, les dissuader de ces mauvaises pratiques et essayer de leur inculquer la bonne conduite, et non pas les encourager à s'engager davantage dans ce chemin de la ruine comme le font certains qui voient dans la " sortie du bac sport " une ingéniosité, des prouesses et une initiative audacieuse qui sont la preuve de la grandeur de notre jeunesse.
La tête et les jambes Effectivement, on la veut grande cette jeunesse qui est l'avenir du pays, mais ce chemin emprunté n'est pas le bon, celui qui mène au progrès, elle s'engouffre dans celui de l'aliénation et la régression. Il est grand temps de l'en sortir et de la mettre sur la bonne voie, celle du savoir et des bonnes valeurs, on n'aime pas qu'elle ait un bon physique et une cervelle vide, mais une tête pleine et des jambes solides : c'est la première qui doit être la locomotive de ces dernières et non pas le contraire.