La structure de la population a radicalement changé en Tunisie. Les dernières statistiques montrent que la barre des 50 % se situe désormais autour de 30 ans. Le nombre des moins de trente ans est égal à celui des plus de trente ans. La population n'est plus aussi jeune et improductive qu'elle ne l'était il y a quarante ans, à la veille du programme du planning familial, lorsque plus de 50 % de la population avaient moins de 15 ans. Près des deux tiers de la population ont, désormais, entre 15 et 60 ans. Autre fait significatif, les plus de 60 ans s'élèvent à 9,5 % de la population et sont plus nombreux que les moins de 5 ans qui ne représentent plus que 8,1 %. L'espérance de vie à la naissance a dépassé les 74 ans. Ce " vieillissement " de la population, survenu en même temps que les multiples changements ayant touché la vie sociale avec, notamment, la sortie de la femme au travail et la prépondérance de la structure nucléaire de la famille, appelle à une nouvelle infrastructure en social et médical pour faire face aux nouveaux besoins. Un tel changement de la structure démographique a déjà fait ressentir de nouveaux besoins concernant les personnes âgées aussi bien en matière de structures de prise en charge qu'en personnel spécialisé dans leur accompagnement et leur assistance. D'ailleurs, les changements ne trouvent pas leurs origines que dans l'accroissement du nombre de ces personnes âgées, ils sont, surtout, la conséquence de l'adoption de la structure nucléaire de la famille et de la sortie de la femme au travail. En effet, la répartition des tâches dans l'ancienne structure familiale attribuait aux femmes - à domicile- le soin de s'occuper des personnes âgées et des enfants en bas âge. La cohabitation sous le même toit de toute la famille ne pouvait que favoriser un tel choix. Aujourd'hui, par contre, avec la domination de la structure nucléaire de la famille, le problème de la garde (et de l'accompagnement) des personnes âgées se pose avec la même acuité que celui des enfants en bas âge. Le tableau de charges de chacun des membres de la famille ne dégage plus de disponibilité pour les grands-parents, surtout s'ils ont des besoins spécifiques nécessitant une assistance particulière.
Indépendance et complémentarité De nos jours, les ascendants cherchent à éviter au maximum de se sentir une charge pour leurs enfants. Ils préfèrent plutôt se rendre utiles et exercer une activité sociale qui donne un sens à leur vie. Ils veulent continuer, à leur goût, leur itinéraire dans la vie. Quant aux descendants, ils essaient, de plus en plus, de s'assurer une certaine intimité dans leur vie de couple. Cette intimité étant indissociable de leur indépendance par rapport à leurs parents. D'ailleurs, cette logique évolue inéluctablement vers l'instauration d'un mode relationnel basé sur l'indépendance et la complémentarité. Les grands-parents restent en contact permanent avec leurs enfants sans, toutefois, les encombrer. Finis les temps des querelles entre la belle fille et sa belle mère autour d'un conflit d'autorité sur un territoire commun, en cas de cohabitation, ou sur la possession d'un homme dont la mère s'en ressent dépossédée et la belle fille se veut conquérante sans que l'une d'elles ne veuille lâcher du leste. Cette quête d'indépendance ne peut pas occulter le fait que les " papies " aient des besoins particuliers auxquels il faut répondre. Cette tranche de la population souffre de maladies spécifiques, nécessite, des fois, un aménagement particulier de son espace vital et on est en situation de se demander sur la responsabilité sociale et familiale pour faire face à cette situation. Le dixième de la population est pratiquement un " Sénior " et une approche exhaustive de leur prise en charge est quasiment nécessaire. La société est appelée à apporter des réponses adéquates à tous les cas.
Les structures spécialisées ? La réaction de la société dépend toutefois de l'angle à partir duquel la question est attaquée. Il n'empêche qu'il parait évident que l'option sociale bascule actuellement en faveur d'une prise en charge familiale du 3ème âge. Le milieu familial est irremplaçable aux yeux de la majorité. Mais, comme les occupations de chacun ne cessent de se multiplier, tout le monde envisage de s'adapter aux données de la situation telles qu'elles se présentent et d'envisager plusieurs solutions simultanées pour que les grands-parents ne se retrouvent pas délaissés. A ce niveau, la position des intéressés, eux-mêmes, n'est pas figée. Elle est variable. Ainsi, au moment où Am Salah, un cultivateur âgé de 75 ans, assure : " malgré le fait que nous possédons plusieurs demeures, nous haïssons la solitude, ma femme et moi. Nous passons l'année à vivre alternativement entre ma maison et celles de mes fils et de mes filles. Nous trouvons du plaisir dans ces rencontres et c'est nécessaire pour renforcer les liens familiaux et sociaux. Rien ne vaut un déjeuner de la grande famille avec nos frères, nos sœurs, tous nos enfants et nos petits-enfants ". Cet avis n'est pas partagé par Baba Ali, un cadre retraité qui pense plutôt : " Moi, personnellement, je ne veux subir ni les regards inquisiteurs, ni accusateurs de mon entourage. Je ne tolère pas que ma belle fille soit agacée par ma présence. Je n'accepte pas de me sentir une charge pour quiconque même si on ne me l'annonce pas de vive voix. Je veux vivre dans un "chez-moi " tout en étant bien entouré. D'ailleurs, je me vois bien dans une maison spécialisée de retraite où je suis convenablement pris en charge. A mon avis, une personne avisée ne doit pas accuser ses enfants d'indifférence et de manque de respect à son égard pour la simple raison qu'ils ne lui accordent pas autant de temps qu'il veut. Nos enfants vaquent à leurs occupations et nous devons trouver les nôtres. Une bonne partie de ce 3ème âge, dont je fais partie, a les moyens de s'offrir une retraite aisée. Pourtant, l'absence de centres spécialisés pour la prise en charge des personnes âgées nous prive de cette possibilité" Tous les indicateurs sociaux, et notamment l'évolution de la structure de la famille, montrent les " Papy " résolvent la problématique de leur prise en charge en fonction de leur situation matérielle. Une première partie choisit la famille, une deuxième opte pour un accompagnant et une troisième s'oriente vers une institution spécialisée, qu'elle soit publique ou privée. Or, en Tunisie, les institutions spécialisées sont, essentiellement, publiques et se consacrent, pour l'instant, aux personnes qui ne disposent ni de ressources, ni de soutien familial. Et, malgré le fait que la législation permette l'ouverture d'institutions privées de prise en charge des personnes âgées, les encouragements manquent et les quelques personnes qui se sont aventurées sur cette piste, attendent toujours que l'administration leur tende la main, ne serait-ce qu'en leur octroyant des terres au dinar symbolique du moment qu'il s'agit d'un projet à vocation sociale. Le besoin en la matière se fait de plus en plus ressentir chez cette tranche de la population qui croit que vivre (et laisser les autres vivre) passe inévitablement par l'indépendance. Or, cette formule de maison de retraite pourrait offrir cette indépendance dans un milieu social. Pour finir, on peut affirmer sans risque de se tromper qu'il est grand temps de repenser la prise en charge des personnes âgées et qu'il est nécessaire d'adopter une logique exhaustive. Nos grands-parents qui ont tant fait pour nous, méritent de terminer leur vie à l'aise, chacun à sa manière et selon le mode de vie qu'il préfère. L'administration est censée aider toutes les options, y compris celle des maisons de retraite.