Qui se souvient encore du " Palais Arabe ", haut lieu de la décoration d'intérieur, des meubles de qualité et de l'artisanat tunisien ? Cet espace commercial appelé pompeusement " palais " se trouve dans le prolongement de l'avenue Habib Thameur, mais dans quel état ! Cela fait des années qu'il tombe en ruine et que son entrée est jonchée de détritus. Des centaines d'espaces qui ont connu des heures de gloire ou qui ont servi de lieu de vie ou de travail ont ainsi périclité au fil des années et il n'y a qu'à quitter les belles avenues centrales de Tunis pour s'en convaincre. La capitale finit d'ailleurs par ressembler à ces décors de western américains où le rue principale est bien jolie, tandis que l'arrière n'est que bâtisses à l'abandon et tuiles arrachées aux toitures. L'espace le plus touché par le passage du temps, c'est le quartier qui se trouve autour de l'avenue Farhat Hached et jusqu'à l'avenue Moncef Bey. Ici, il y avait des centaines d'ateliers de mécaniciens, de tourneurs, de tôliers, de petits artisans spécialisés dans le fer blanc, l'aluminium, l'ébénisterie... Un monde aujourd'hui disparu, avec comme seuls vestiges des bâtisses aux toits arrachés, aux murs lézardés, au carrelage craquelé... Interrogés sur les raisons de ce laisser-aller, les rares artisans qui continuent à vivoter ici, avouent sous le couvert de l'anonymat qu'ils ont " hérité cet atelier de l'ancien patron, français (ou italien), qui les a formé au métier, avant de mourir ou de repartir dans son pays d'origine, sans régler la situation foncière des lieux. " C'est là d'ailleurs la principale cause de cet état de choses dans de nombreux quartiers, comme ceux de Lafayette et même de la Médina. Autre lieu où les dégâts sont visibles : à l'entrée de l'avenue Jean Jaurès par l'avenue Mohamed V, il y a l'ancien siège d'une société qui a rendu l'âme depuis de longues années et qui continue à se détériorer à vue d'œil, à tel point qu'une partie des locaux est désormais à ciel ouvert. Il y a quelques années, c'était une société florissante. Le quartier de Lafayette est la meilleure illustration de cette situation catastrophique. Ici, les ateliers qui menacent ruine sont certes moins nombreux, mais leur état d'insalubrité est inquiétant.. La vie de ceux qui continuent à y travailler est même mise en danger... Là aussi, le principal problème à une éventuelle reprise par une nouvelle société, c'est la situation foncière, puisque ces lieux appartiennent à d'anciens colons qui les ont bâtis et y ont travaillé toute une vie avant de les céder à leurs enfants ou à des apprentis qu'ils ont formés et qu'ils considèrent comme leurs enfants. Il faut aussi signaler ces immeubles de style colonial avec leurs sculptures baroques dont les balcons menacent de se détacher totalement ou partiellement et de causer des dégâts matériels et humains. Une campagne a été lancée par la municipalité de Tunis il y a quelques années, mais ses résultats ont été limités et bon nombre d'immeubles continuent à s'effriter dangereusement... En face de la mosquée El Fath, dans la rue Sayed Dérouiche, un immeuble abritant une menuiserie ne cesse de se tomber pierre après pierre, risquant à chaque fois d'endommager les voitures en stationnement ou, plus grave, de fracasser la tête d'un passant !
Manque de moyens Interrogé sur cette situation, un responsable de la municipalité de Tunis assure que " des contrôles sont régulièrement effectués, mais il y certaines situations qui sont inextricables. Certains immeubles qui tombent en ruine sont habités par des gens qui n'ont pas les moyens de financer les réparations. " Pourquoi la municipalité ne prend pas, dans ce cas précis, les frais de restauration à son compte, puisqu'il y a danger d'effondrement ? Notre interlocuteur avoue avec une certaine gêne que " ce n'est pas dans les prérogatives de la municipalité de faire ce type de réparations, mais elle peut dans certains cas effectuer les travaux et se faire rembourser par mensualités... " Mais les lieux les plus dangereux se situent loin de là, dans la Médina de Tunis, avec ses nombreux palais et ses jolies maisons de style arabe qui sont déjà effondrées ou qui menacent ruine. De nombreux espaces ont été réhabilités grâce à l'Association de la Médina , mais ce qui reste à faire est énorme. Des rues entières sont dans un état de délabrement effrayant, à se demander comment des passants peuvent les traverser en toute quiétude ! De nombreux murs sont d'ailleurs soutenus par poutres qui tentent vainement de retarder l'échéance, la déchéance de ces bâtisses.
Les Oukalas Le problème ici est inattendu : les propriétaires de ces lieux sont aisés, mais ils ont volontairement abandonné ces lieux depuis les années soixante, pour s'installer en banlieue, essentiellement du côté de la Marsa.. Et comme, dit le dicton, " la nature a horreur du vide ", des hordes de déracinés sont venus occuper ces maisons qui se sont vite transformées en " Oukalas " réunissant les familles pauvres de la Médina, des victimes de l'exode rural, des célibataires endurcis, des femmes divorcées, des veuves... Un univers assez particulier, avec des règles très dures, des comportements agressifs et des bagarres récurrentes. Alors parler ici de réhabiliter la Médina semble être un sujet incongru, tant la pauvreté est criante et les situations précaires. Des familles entières partagent des chambres uniques, où on se relaye pour dormir. Quant aux sanitaires, ils sont souvent bouchés avec une hygiène plus que déplorable... L'extrême majorité de ces habitants de certains quartiers de la Médina ne sont pas propriétaires, mais des squatters qui ne payent même pas de loyer. Ils ne sont donc pas prêts à réparer les maisons dans lesquelles ils vivent. Une habitante finit par nous donner le fin mot de l'histoire : " si une maison s'effondre, nous allons voir le délégué de la région et il nous donne un logement gratuit dans un quartier nouveau, en banlieue. " Vue comme cela, la situation invivable de ces milliers d'habitants s'explique, puisqu'ils jouent la montre et le pourrissement de la situation. Mais que de souffrances physiques et morales en attendant... En conclusion, on peut dire que la municipalité de Tunis fait preuve d'un grand laxisme dans la gestion de tous ces problèmes. Il convient donc de résoudre ces problèmes avant que la situation ne devienne dramatique et que des accidents mortels ne surviennent. Gérer, c'est aussi prévoir les problèmes...