Le Temps-Agences - Ghasan Matar, 14 ans, ne dit rien de l'explosion qui lui a arraché les jambes et a tué son frère. En fait, six mois après la fin de la guerre à Gaza, l'adolescent parle à peine. Il passe la plupart de son temps le regard fixé sur un énorme poster illustré d'une photo de son frère aîné, avec en arrière-plan des scènes de guerre, une kalachnikov et des soldats israéliens tués. Lorsqu'il parvient à s'exprimer, il affirme ne jamais penser au jour où sa maison a été touchée de plein fouet par des bombardements israéliens dans le quartier Zeitoun de Gaza et ne pas faire de cauchemars. "Ca va", assure-t-il, laconique, avant de refermer sur lui-même. "Il est profondément traumatisé. Il essaye de faire comme si rien ne lui était arrivé", explique Nisrim Ramadan, une travailleuse humanitaire durant une visite dans sa maison dévastée. "Il y a de nombreux cas de choc profond, de désespoir" chez les enfants. Sur quelque 1.400 Palestiniens tués pendant les 22 jours de l'opération israélienne de décembre-janvier, 300 étaient des enfants, tandis que des milliers d'autres étaient blessés, selon un bilan palestinien. Les enfants, qui constituent plus de la moitié du million et demi d'habitants de la bande de Gaza, souffrent de blessures psychologiques qui mettront longtemps à s'estomper. "Les enfants rient, mais ils ont perdu leur joie de vivre. Ils sont incapables d'espérer", estime le psychiatre Eyad Sarraj, qui dirige le programme de santé mentale pour la communauté de Gaza. Ahmed Salah al-Samuni, sept ans, sourit timidement en lançant un ballon mais, très vite, il perd tout intérêt pour le jeu et enfonce ses ongles dans un canapé lors d'une consultation. "Je me rappelle que les Israéliens sont venus et nous ont dit de sortir. Des obus sont alors tombés", raconte-t-il. "Grand-mère et grand-père sont morts", dit-il en égrenant le nom de 10 membres de sa familles tués dans sa maison dans une attaque qui a fait au total 29 morts. "J'aime Azza et je veux qu'elle revienne", murmure-t-il à propos de sa sœur de deux ans et demi qui fait partie des victimes. Une longue cicatrice barre son visage et son nez a été déformé par un éclat. Il y a quelques mois il était sujet à de brusques accès de colère, où il battait ses frères et cassait tout ce qui était à sa portée. "La nuit, il criait: les juifs vont venir me tuer", raconte son père. Peu à peu, il commence à se rétablir. "Mais, c'est un long processus, il a vu tellement de cadavres", explique Sabri Abou Nadi, un psychologue. Un très grand nombre d'enfants ont vécu des "situations horribles", ajoute Sajy Elmughanni, un porte-parole de l'UNICEF. "Tous les enfants ont été exposés à la violence à divers degrés." Njood Basal, 14 ans, grièvement blessée à la tête, passe la plupart de son temps assise sur son lit dans une chambre avec un plafond en tôle ondulée et trouée. Elle communique avec ses amis sur l'internet "dans d'autres pays, et surtout en Cisjordanie". "Je ne leur dis pas ce qui est arrivé. Ils demandent, mais je change toujours de sujet. Je me sens mal, lorsque je parle de la situation", ajoute-t-elle. A l'extérieur de sa maison, un poster montre un de ses cousins membre des brigades Ezzedine al-Qassam, la branche militaire du Hamas, le mouvement islamiste qui contrôle la bande de Gaza. Pour le docteur Sarraj, les enfants risquent d'évoluer vers l'extrémisme, du fait de l'extrême violence à laquelle ils ont été confrontés. "Je suis certain qu'une nouvelle génération d'activistes va émerger. Ceux qui sont aujourd'hui des enfants vont s'identifier à des groupes encore plus durs que le Hamas".