Avec La Gloire et la Puissance, publié chez AC Editions, l'historien Hichem Abdessamad entreprend un projet rare et ambitieux : réinterroger la trajectoire de Habib Bourguiba à travers une anthologie rigoureusement commentée de ses grands discours. Plutôt que de reconduire les images figées du héros ou du despote, l'auteur retourne aux textes eux-mêmes pour y débusquer la logique d'un pouvoir façonné par la parole. Seize discours emblématiques, couvrant les grandes étapes de son règne, sont ainsi proposés à la lecture, accompagnés d'analyses denses et stimulantes qui éclairent autant qu'elles interrogent. Un geste d'historien, une parole vivante Hichem Abdessamad ne cherche ni à réhabiliter ni à condamner Bourguiba. Il le prend au sérieux, au mot, comme une figure centrale de l'histoire politique tunisienne, dont les discours constituent une archive précieuse, trop souvent réduite à des slogans. Ce retour méthodique à la source oratoire du pouvoir bourguibien permet de penser autrement la relation entre autorité, modernité et réforme dans la construction de l'Etat postcolonial. Loin de toute neutralité froide, l'auteur assume une position critique ancrée dans son époque, soucieuse de comprendre sans complaisance une parole politique marquante. Un ouvrage utile pour notre présent incertain Le livre est aussi un outil pour notre temps. En confrontant les énoncés de Bourguiba aux tensions actuelles de la société tunisienne, Abdessamad ouvre des pistes de réflexion sur les continuités et les ruptures de notre culture politique. Il montre comment le discours du raïs, à la fois pragmatique et pétri d'idéologie, a façonné l'imaginaire du pouvoir, au point d'imprégner encore aujourd'hui certains réflexes. Ce travail rigoureux permet de sortir du manichéisme et de proposer une lecture nuancée, précieuse pour qui veut penser l'héritage, sans nostalgie ni rejet caricatural. Sophie Bessis, en ouverture La préface de Sophie Bessis vient en appui de cette démarche exigeante. Elle salue un « retour à l'archive originelle » et souligne l'intérêt de relire Bourguiba avec les outils du présent. Elle rappelle que l'homme fut tout à la fois « universaliste et essentialiste, sociologiquement moderne et politiquement archaïque », et que ses discours offrent une matière riche pour comprendre les ambiguïtés de la nation tunisienne. Mais ce sont bien les choix de l'auteur, son approche critique et sa capacité à faire parler le texte, qui donnent à cette anthologie sa force, sa singularité et sa pertinence.