Le degré de civilisation d'un peuple se mesure entres autres à l'aune du respect qu'il voue au savoir et plus particulièrement au livre. Aujourd'hui et à l'heure où des efforts gigantesques et bien entendu coûteux sont entrepris pour inciter à la lecture, pour renforcer et moderniser l'infrastructure des bibliothèques existantes et pour créer de nouveaux espaces de lecture partout où il en manque sur le sol tunisien on continue, du côté des conservateurs des bibliothèques publiques et universitaires comme du côté des lecteurs qui bénéficient de leurs services, à déplorer des attitudes de vandales irresponsables et inconscients qui, chaque année, condamnent entièrement ou en partie des centaines d'ouvrages et de documents à l'indisponibilité. Les auteurs de ces " crimes culturels " n'appartiennent pas à une catégorie particulière d'utilisateurs, ni à une tranche d'âge en particulier. Ceux qui détériorent, volent ou égarent les livres des bibliothèques ont le plus souvent l'égoïsme et l'inconscience en commun. Quelles solutions peut-on proposer pour sauver les fonds précieux conservés dans ces édifices perçus ailleurs comme des sanctuaires ? Les uns préconisent la mise à profit des technologies de l'information (notamment la saisie numérique du contenu des livres et la magnétisation des fichiers) d'autres recommandent le renforcement du personnel et des équipements de contrôle (pourquoi pas des caméras de surveillance, s'est demandé l'un des bibliothécaires interrogés). Mais tout le monde est convaincu que c'est d'abord une affaire d'éducation et de sens civique. Réapprendre le respect du livre " Il faut, selon Slaheddine, apprendre aux jeunes et aux moins jeunes le respect du livre et de l'espace de lecture. Chacun de nous doit se rappeler en permanence que ce sont des biens publics mis à la disposition de la collectivité nationale. Je considère que l'égoïsme de certains utilisateurs est l'ennemi principal des bibliothèques publiques. Dans une salle qui accueille en moyenne plus de 50 lecteurs à toute heure de la journée, vous avez beau augmenter le nombre de vos agents, il y aura toujours des livres détériorés, égarés, ou volés. Je me rappelle que dans les années 60, on a évalué le nombre des livres perdus à 13.000 par an. Le plus pénible dans tout cela c'est de constater d'abord que les éducateurs (instituteurs, professeurs du secondaire et chercheurs universitaires) font partie des " vandales " culturels. D'autre part, la détérioration et la perte concernent aussi les précieux ouvrages de références tels les encyclopédies, les dictionnaires et les périodiques qu'il n'est pas facile de restaurer ou de remplacer. Ce sont pourtant des volumes qui ne sortent pas des salles de lecture. " Les bienfaits de l'informatique Pour Tijani, la solution réside dans un investissement plus conséquent dans la modernisation des équipements mis en service dans les bibliothèques. Les pouvoirs publics ne doivent pas lésiner sur les moyens quand il s'agit d'y introduire les plus récentes technologies informatiques à l'instar de ce qui s'est fait dans la Médiathèque de l'Ariana. Prenez le cas des inventaires annuels par exemple, ils mobilisent trop de monde, occasionnent une perte de temps irrécupérable, coûtent trop d'argent à l'Etat et surtout privent le public pendant un mois ou presque de ses espaces de lecture. J'appelle d'urgence à une étude sérieuse des bienfaits de l'informatisation, de la magnétisation et de la numérisation sur la conservation et la protection des fonds de nos bibliothèques publiques. Mais cela ne veut nullement dire que je sous-estime les autres mesures à prendre dans ce sens, notamment l'enrichissement régulier des fonds et la mise à niveau et la formation continue de tous les agents de réseau de lecture publique.
Pour davantage de rigueur A l'université, le fléau prend une ampleur alarmante : dans certains établissements, vous constatez les dégâts dès la consultation des fichiers placés à l'extérieur de la bibliothèque. Sur une centaine de fiches par tiroir, il en reste moins de la moitié. Les étudiants font disparaître les autres pour pouvoir utiliser seuls et à loisir tel ou tel titre. Quand ils empruntent un livre, ils ne le rendent pas toujours dans un état satisfaisant, et c'est heureux qu'ils n'en arrachent pas le tiers ou la moitié des pages. Ils ont pourtant la possibilité de photocopier à un prix très abordable autant de pages qu'ils veulent, mais ils préfèrent économiser le prix d'un capucin, d'un paquet de cigarettes ou d'une recharge téléphonique. L'entrée dans les magasins n'est autorisée qu'aux seuls enseignants et chercheurs parfois sans le moindre contrôle. C'est ce qui occasionne de nombreuses pertes non seulement au niveau des livres usuels mais également parmi les grands ouvrages de référence. Une responsable de bibliothèque nous a révélé que certains professeurs ne mentionnent pas tous les documents empruntés en remplissant les fiches nominatives réservées à cet effet. " D'autre part, ils mettent la mention " rendu " devant des titres qu'ils n'ont jamais remis à la bibliothécaire. Je trouve que c'est indigne d'un éducateur d'enrichir sa bibliothèque personnelle avec des livres volés. Allez voir de l'autre côté, dans la salle des périodiques qui se vide chaque année d'un certain nombre de titres. Il faut se montrer plus rigoureux avec tout le monde ; ni les étudiants ni leurs professeurs ne sont des anges. J'en veux aussi à certains agents qui leur facilitent la tâche quelquefois. " Nous avons par ailleurs appris que les utilisateurs qui égarent un ouvrage quelconque sont systématiquement pénalisés et doivent soit rembourser le prix (même estimatif) du livre soit en acheter un exemplaire de la même collection ou d'une collection différente. Au cas où le titre est épuisé sur le marché, le montant récupéré sert à l'acquisition d'un autre ouvrage de la même valeur ou presque. Pour ce qui est du genre d'ouvrages endommagés ou perdus, il s'agit plus d'études critiques et générales que de romans ou de manuels. Badreddine BEN HENDA
*** Chiffres significatifs *En 2008, le nombre de livres détériorés ou égarés a atteint 37.081 sur un fond de 6.057.231 ouvrages (de langue arabe ou autres). Cela représente un taux de 0,61 %. Les chiffres les plus élevés ont été enregistrés dans les gouvernorats de Bizerte (5363), Monastir (3651), Tunis (3627), Gafsa (2933), Nabeul (2858), Sfax (2477) et Béja (2374). *A l'université, la moyenne nationale des livres perdus et irrécupérables avoisine les 2 % du fonds disponible. *En 2008, le nombre des bibliothèques publiques est de 378. C'est à Nabeul (26), à Sfax (26), à Monastir (24) et à Tunis qu'on trouve le plus de bibliothèques. Tozeur (8), Kébili (9), Zaghouan (9) sont les gouvernorats les moins lotis. * Le nombre des utilisateurs est de 4.613.145 en 2008. Quant au nombre des abonnés, il a atteint le chiffre de151.634. Ce qui représente une relative régression par rapport à 2004 et 2006. *Le nombre de places disponibles à l'échelle nationale est de 32.206 selon les mêmes estimations de 2008