C'est officiel, 2011 est décrétée année nationale du livre. Cependant, alors qu'ailleurs dans le monde, la vogue est désormais au livre numérique, en Tunisie nous en serons encore, l'année prochaine, à célébrer le livre classique. Google a déjà numérisé près de dix millions d'ouvrages depuis 2004 ; ses concurrents feront sûrement mieux. Les bibliothèques traditionnelles seront bientôt remplacées par des tablettes de quelques centaines de grammes, capables de proposer à la lecture des milliers d'ouvrages numérisés. De quoi séduire un public jeune féru de nouvelles technologies et très porté sur le maniement des ordinateurs, des téléphones portables et des consoles de jeux. Il y a donc lieu de penser à introduire cette nouvelle culture digitale dans nos habitudes en espérant que cela contribuera à réconcilier les futures générations avec la lecture. En attendant, c'est le livre en format papier qu'on continue à proposer chez nous aux jeunes et à leurs aînés. Nous disposons des plus récentes statistiques sur nos bibliothèques publiques, leurs fonds, le taux de fréquentation de ces espaces de lecture et sur le nombre de livres lus par les Tunisiens selon les gouvernorats. Il n'y a vraiment pas de quoi pavoiser ! Les données chiffrées D'après les chiffres de 2009, il existe dans le pays 381 bibliothèques publiques qui offrent 32.906 places et qui disposent d'un fonds composé de 6.324.985 livres lesquels bénéficient à 5.816.425 utilisateurs. Le nombre des abonnés a atteint 142.832 personnes. Comparés à ceux de 1999, ces chiffres rendent comptent d'une évolution plus ou moins importante : par exemple, le nombre des bibliothèques a progressé de 15,81 %, celui des places disponibles de 36,99% ; les fonds ont augmenté de 71, 37 %. Par contre, le nombre des utilisateurs et des abonnés n'a progressé que de 14, 40 %. Autre donnée : les gouvernorats qui possèdent le plus de bibliothèques publiques sont Sfax et Nabeul (26), Monastir (24), Tunis (22), Sousse (21), Bizerte et Gafsa (19). Les moins « lotis » sont Tozeur (seulement 8 bibliothèques), Zaghouan (9), Kébili, l'Ariana et la Manouba (10). Le pourcentage des livres par rapport au nombre d'habitants diffère d'un gouvernorat à l'autre : à Tozeur, on compte 1543 livres par millier d'habitants. C'est la proportion la plus élevée. La plus faible est enregistrée à la Manouba avec seulement 269 livres par millier d'habitants. La moyenne nationale est de 606 livres pour mille habitants. En ce qui concerne la moyenne de lecture par habitant, elle varie également selon les gouvernorats : à Tozeur, elle est de 2, 99 livres par habitant. A Tunis, Sousse, Bizerte, Sfax, elle est de moins d'un livre par habitant ! La moyenne la plus faible est relevée à l'Ariana avec seulement 0,37 livre par habitant ! Quant à la moyenne nationale, elle est de 1,02 livre par habitant. Pour ce qui est des bibliothèques ambulantes, la Tunisie en compte actuellement 31 qui disposent d'un fonds de 498.192 ouvrages. 26.108 personnes y sont abonnées qui ont emprunté 593.293 livres dans 1782 points de prêt. Que peut-on espérer ? Une première lecture de tous ces chiffres montre que si les fonds de nos bibliothèques publiques s'enrichissent considérablement, le nombre des lecteurs évolue trop lentement. Idem en ce qui concerne le nombre de prêts de livres : 9.449.006 en 1999, et 10.653.037 en 2009 ; soit une progression de seulement 12,74 %. Nous avons encore peu de bibliothèques en Tunisie et il est inadmissible que, de surcroît, deux bibliothèques ambulantes chôment une année entière : c'est le cas en 2009 à Kairouan et à Kébili. Quant à la moyenne de lecture, elle est loin d'inciter à la fierté puisque le Tunisien ne lit pas plus d'un livre par an. Que l'on n'invoque pas les prix élevés pour justifier cette paresse, les statistiques que nous avons présentées concernent des espaces de lecture quasiment gratuits. Une autre réalité choquante : les gouvernorats les plus nantis en bibliothèques ne comptent pas le plus de lecteurs. Dans les régions côtières non plus, on ne dévore pas les livres. Pourquoi alors y ouvrir davantage de bibliothèques que dans les gouvernorats où l'on aime un peu plus la lecture ? Déclarer 2011 année nationale du livre ne suffit guère ! Il faut en profiter pour repenser toute notre stratégie culturelle en vue de réhabiliter la lecture et l'utilisation du livre. Trois ministères sont concernés par cette mission ô combien délicate : celui de la culture bien évidemment, le ministère de l'éducation et le ministère de l'enseignement supérieur. Les médias aussi ont leur rôle à jouer. Ils doivent se garder de répandre "l'opinion" selon laquelle la lecture est une "activité de ringards". Ce genre d'argument, une fois passé de mode, ne sera tenu que par des attardés !