Les fins de romans sont aussi difficiles à réussir que les commencements. Un virtuose de la plume comme Tchekov, avait suggéré aux auteurs de se débarrasser du commencement et de la fin de leurs récits. Car, avec un bon sens non dénué d'ironie, il a remarqué qu'ils ratent souvent aussi bien leurs incipit que leurs exipit. La palette des fins de roman est variée. Les exipit ont ceci de particulier qu'ils bénéficient de la charge émotionnelle de la somme totale des pages qui les précédent. Il est donc très difficile d'apprécier une bonne fin si on n'a pas lu la totalité du roman. Quand même, j'ai pu dénicher quelques exipit, relativement "auto-suffisants", si je puis dire. La fin du Voyage au bout de la Nuit de Céline est, à ce titre, un pur plaisir : « De loin, le remorqueur a sifflé ; son appel a passé le pont, encore une arche, une autre, l'écluse, un autre pont, loin, plus loin… Il appelait vers lui toutes les péniches du fleuve toutes, et la ville entière, et le ciel et la campagne, et nous, tout qu'il emmenait, la Seine aussi, tout, qu'on n'en parle plus. » Il y a des fins qui ressemblent à merveille au tempérament de leurs auteurs : celle de Sartre dans « Les mots » ne peut ressembler qu'à Jean-Paul : "Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n'importe qui". D'autres, par contre, sont émouvantes et tragiques, comme celle de Hugo dans Notre-Dame de Paris : "quand on voulut le détacher du squelette qu'il embrassait, il tomba en poussière" La clôture de Pantagruel est à consommer sans modération. Jugez-en : "Bonsoir, Messieurs, pardonnez-moi: et ne pensez pas autant à mes fautes que vous pensez bien aux vôtres." Et un peu plus loin : « Toutefois, si vous les lisez comme un joyeux passe-temps, de même que je les écrivais pour me passer le temps, vous et moi nous sommes plus dignes de pardon qu'un grand tas de faux ermites, de cagots, d'escargots, d'hypocrites, de cafards, de frocards, de déchaux, et d'autres telles sortes de gens qui se sont déguisés et ont pris un masque pour tromper le monde. » Il y a aussi des exipit qui ont cette capacité à résumer toute une époque. La fin d'American psycho résume l'état et la cruauté de la société de nos jours :« Et au-dessus d'une des portes, masquées par des tentures de velours rouge, il y a un panneau, et sur ce panneau, en lettres assorties à la couleur des tentures, est écrit: SANS ISSUE » Et c'est comme si Umberto Eco, à la fin de son chef d'œuvre « Le nom de la rose », lui faisait echo: "Morale: il existe des idées obsédantes, elles ne sont jamais personnelles, les livres parlent entre eux, et une véritable enquête policière doit prouver que les coupables c'est nous."
Et puis il y a l'exipit d'une vie: Proust, en guise de message adressé à Céleste, a griffonné au dos d'une enveloppe, le jour de sa mort, cette dernière phrase: « Je n'ai ni mes petits gâteaux secs ni ma montre. » Ainsi son dernier mot était "montre": C'est assez cohérent!