Quand le rêve, l'imagination, le désir, la volonté submergent les profondeurs de l'être humain, s'impriment sur sa peau, prennent forme avec son corps, aveuglent son esprit, cet être ne peut devenir que le condamné obtempérant à sa destinée, se déployant fermement sous l'empire de sa passion, répondant machinalement aux impératifs de ses pulsions, acceptant les souffrances et les injustices rencontrées sur son chemin, car, figurez-vous, «rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur», dit-on à la manière de Musset ! Eh bien, il s'agit de cette douleur qui fait jubiler l'être, qui l'emporte loin dans l'exaltation, le réjouit pleinement pendant qu'il cherche à matérialiser son désir, à accoucher sa volonté, à répondre à cette passion nichée en lui, germant et prenant racine partout dans ses tréfonds, même si elle est inaccessible, voire impossible ou interdite… et que dire quand c'est un enfant qui vit sous le joug de la passion, un petit être tout innocent, tout frais, respirant l'art au petit feu de son âme, maudit par l'amour du cinéma au point de risquer sa dignité, dans un lieu à mille lieues du cinéma… Un Irakien à Paris est indéniablement ce roman de la passion artistique, qui consume frénétiquement le cœur, comme à l'âtre, le feu avec du bois ! L'art est le foyer d'un crépitement chaleureux… C'est un roman en langue arabe, de l'écrivain irakien d'origine assyrienne Samuel Shimon, traduit en langue française par Stéphanie Dujols et publié par la maison d'édition Actes Sud. Le livre était aussi traduit en anglais et en suédois, il a bien suscité l'attention des critiques et a été considéré par la presse britannique comme «une réplique arabe au Tropique du Cancer de Henri Miller». D'emblée, le titre nous annonce qu'un Oriental évoluera dans un espace étranger, inaccoutumé, exubérant, différent de celui auquel il est habitué, et qu'il rêvait certainement depuis si longtemps de découvrir. On s'attend ainsi à une série de péripéties, de rebours, de rebondissements… Cette première impression que recèle le titre donne l'appétit au lecteur et nourrit sa curiosité pour explorer ce que pouvait rencontrer malencontreusement ce personnage de l'Est, dans une contrée de l'Ouest. Le livre se compose de deux volets bien distincts : le premier est intitulé Un Irakien à Paris, il nous trace l'itinéraire de cet Assyrien, devenu adulte, féru du 7e art et envisageant de partir à Hollywood pour réaliser sa passion et devenir une star. Il passe d'abord par Beyrouth et Damas, là où il était torturé, puis se met en va et vient entre Tunis, Liban, Chypre, etc., jusqu'à ce qu'il obtienne l'asile politique à Paris. Là, il décide d'écrire un scénario, mais finit par composer un roman, ce qui constitue le deuxième volet : Le petit marchand ambulant et le cinéma, dans lequel il raconte les débuts de son enfance, tiraillé entre le travail pour subvenir aux besoins de sa famille, et le cinéma qui l'envoûte jusqu'aux orteils, en décrivant le milieu dans lequel il a grandi, et qui est caractérisé par la multiethnicité. Les deux volets s'apparentent, à première vue, comme étant disparates, mais, en réalité, ils ne sont qu'intimement liés. D'ailleurs, en entamant la lecture, on a l'impression que l'histoire a déjà commencé quelque part, qu'on est peut-être au milieu. Une sensation d'ambiguïté emporte le lecteur qui ne connaît pas grand-chose des personnages et leur construction, contrairement à l'habitude classique qui présente, à l'incipit, le décor général de l'histoire. Or, cette histoire commence par le milieu et débute dans le deuxième volet, c'est-à-dire, la partie consacrée au «petit marchand ambulant et le cinéma». Une mise en abîme est délicatement préparée, le roman dans le roman ne fait que mettre en relief ce personnage appartenant à une culture orientale, recueilli par une culture occidentale, ou plutôt, attiré par l'abîme du monde étranger. Un travail de structure intelligent, loin des sentiers battus et des clichés de l'écriture romanesque classique.