C'est une réédition. Preuve, donc, que ce livre a eu le succès qui lui revient. Histoire d'une cité fortifiée que ses enfants appellent « La planète ». Séparée du reste du monde, ne reconnaissant le droit de vivre à aucune créature, aucune civilisation, aucune histoire qui ne soient les siennes. Telle est Mahdia ; ce plus noble des poissons qui effleure à peine la terre ferme avec ses lèvres, guettant le moindre signe d'hostilité, pour faire volte-face, et plonger au fond pour rejoindre les vestiges en pierres précieuses qu'elle est seule à détenir et qui jalonnent les multiples escales de construction et de destruction qui font aujourd'hui sa gloire pudiquement réservée, et la noblesse de son extrême solitude. Cette cité de fous dont le plus beau site est source de vie est… son cimetière. Marin, cela va de soi ! Et n'approche les marins qu'avec un sourire grand comme la mer. Car quand ils touchent terre, ils ont le mal de mer. Le mal de mer du mal d'aimer. Que dois-je dire de ce livre ? Qu'il est soigneusement ordonné ? Qu'il a le mérite d'évoquer à travers les épisodes d'une vie scrupuleusement annoncée, l'atmosphère d'une multitude d'existences que rien ne peut séparer. Ni la différence des classes, ni celle des saisons et des années, tantôt dociles et si souvent dures à digérer. L'approche de Alia Mabrouk est on ne peut plus conservatrice car Mahdia ne peut prétendre à un envol, à une danse, à un équilibre qui ne porte le poids insupportable de son passé. Mahdia est une cité statique. Son cerveau aussi. Non qu'il soit congelé. Au contraire, nourri de l'égoïsme le plus fier et le plus rassurant, sa matière grise suit le mouvement des vagues et, ramène souvent des perles inestimables que les autres cités de la Tunisie sont loin d'imaginer. Mahdia est un costume immuable ! Clinquant ! Aveuglant ! Un véritable cuirassé tissé avec ce que seules les mains de Pénélope peuvent toucher. Que dois-je dire de cette vie brodée par Khédija Chleifa Hamza ? Que c'est une très belle vie et que comme toute vie, elle mérite ou ne mérite pas la peine d'avoir été vécue ? Non… je dirais tout simplement que, quelque fois, tout modernistes ou évolutionnistes qu'on soit, préserver une autre époque, une époque antique, presque ésotérique, une époque tellement impalpable malgré son poids d'or et de plomb, est un chemin vers le rêve, vers la douceur, vers l'oubli ! Que les illustrations laissent des fois à désirer, que les visages ne sont pas des plus beaux, que les recettes culinaires sont un tantinet détournées de leur origine… cela ne change rien à l'affaire. Ce livre est comme un mariage, préparé pendant de longues années, selon des rites et des stations que le plus terrible des vents ne peut ébranler. C'est juste un livre d'amour… Un baiser d'écume frêlement posé sur les ailes du verbe « aimer ».