Autour de Raouf, la cinquantaine, tout ne va plus pour le mieux dans le meilleur des mondes. Quelque chose comme une forme d'équilibre, installée au fil des années, vient de se rompre. Et cette tranquillité apparente, cette harmonie, finalement précaire, se sont brisées, malencontreusement, lors même qu'il pensait qu'il avait prise sur sa vie, dans ses moindres détails, et que cette certitude-là, n'achopperait sur aucun écueil. Qu'elle était conçue pour durer. Sauf qu'il suffit d'un rien pour que les évènements prennent une autre tournure. Sa vie en somme... Alors l'enfance ressurgit, comme une bourrasque, en emportant tout sur son passage. Comme un nettoyage de printemps. Les faux-semblants, comme les lâchetés quotidiennes. Et les souvenirs d'affluer, à la surface de sa mémoire, pour le ramener très loin. Quelque part où le cinéma se mêle à l'enfance, pour un vert paradis dont il ne retrouvera plus jamais le goût… Marié à une étrangère, Raouf dût se rendre un jour à l'évidence : ils s'étaient éloignés l'un de l'autre, imperceptiblement, jusqu'à la cassure. Plus rien ne pouvait sauver leur couple. Et le retour à Kairouan, sa ville natale, était l'occasion d'en expérimenter les manques, comme les points de faille. Il était une fois, un petit garçon rêveur, dans une ville paisible, régentée par une morale, un tant soit peu rigide, qui n'était peut-être pas faite pour aider les enfants, à passer d'un cap à l'autre, avec douceur. Avec un père, particulièrement autoritaire, le petit Raouf aspirait à autre chose, sans pouvoir définir ce qu'était cette chose qui lui manquait. Il y a avait appel d'air. Jusqu'au jour où son oncle, considéré comme farfelu, et en dehors du conformisme ambiant, menant sa vie de « bohême » en se promenant d'un village à un autre, avec sa « Boîte magique », pour projeter des films qui faisaient écarquiller les yeux des enfants, émerveillés, mais pas seulement eux, le prit sous son aile, pour lui apprendre tout ce qu'il savait. L'amour du cinéma, comme une révélation à lui-même, la vie, sous toutes ses coutures, même celles qu'on calfeutre, en prenant soin d'en cacher les défauts, et puis l'amour… Le goût d'un bonheur comme un fruit sauvage, jusque-là méconnue, et dont il garde la saveur à la bouche, longtemps après que tout cela soit fini. Jusqu'au jour où la désillusion, une certaine tristesse, la nostalgie, ne le ramènent sur ces chemins perdus, pour renouer avec les fils de ses souvenirs, et pour réapprendre à vivre… Avec Hichem Rostom, dans le rôle de l'oncle « providence », Abdellatif Kechiche, dans celui de Raouf devenu adulte, et Marianne Basler ; avec l'alternance des flashs-back et le retour au présent, le noir et blanc et la couleur, le film continue sa route, « comme un train dans la nuit » selon la formule de Truffaut. Jusqu'à titiller en nous quelque chose qui ressemble aussi à de la nostalgie. Un peu à la manière d'un « Cinéma Paradiso » de Tarantino, dont le genre peut être éculé, mais qui touche en nous une fibre essentielle. Et c'est cette émotion qui porte le film, non dénué de quelques éclats de rire, qui fait qu'on ne peut y demeurer indifférent. A la solitude du personnage central aussi.