Depuis le jour où Peppino enfant, a lancé son caillou, pour la première fois, de toutes ses forces, contre les trois grands rochers sous lesquels se cacherait un trésor, dans l'espoir de les atteindre d'un seul coup, par ricochet, et sortir enfin sa famille de la misère, en ces temps difficiles où la famine touchait bien évidemment les plus démunis parmi les habitants de cette petite ville de la province de Palerme -Baaria-, et l'ultime fois où, devenu vieux, et regardant sa vie à rebours, il put enfin les atteindre, pour voir surgir de la terre craquelée et rocailleuse, en lieu et place du trésor, des serpents noirs qui grouillent, comme dans son pire cauchemar, bien de l'eau est passé sous les ponts. Et tant d'espoirs auront été avortés dans l'œuf. Tout comme les rêves et les illusions, partis en fumée, foulés aux pieds par le fascisme, si ce n'est par la grande guerre, avec à l'arrivée, en guise de consolation, l'ascension de la pieuvre tentaculaire, vorace et insatiable, et la mort des utopies. « La politique est belle… » répétait Cicco attendant sur son lit de mort, l'arrivée de Peppino, son fils, qu'il voyait déjà député de la grande cause. Mais voilà, comme pour la nuit de noces avec Mannina, même le couteau sur la gorge, coucher sous le portrait de Staline, ce n'est pas une affaire. Il passera pourtant toute sa vie à militer pour le PCI (Parti Communiste Italien), tandis que les années passent, et que ses cheveux blanchissent sur ses tempes. Et c'est maintenant au tour des enfants de se poser les questions que lui se posait à leurs âges, et de dire non. La transmission père-fils se fera au final sur les quais d'une gare, avec cette même phrase que Peppino a entendu de son père un jour : «Va gagner ton pain mon fils…» Mais Pietro n'est pas berger. Et s'il a hérité du caractère ombrageux mais fier de son père, c'est qu'il porte également la Sicile dans les veines. Et dans le cœur. Et lui ne sera pas berger mais cinéaste, parce que c'est dans une salle de cinéma qu'un jour, accompagné par son père, il put découvrir la vie par l'autre bout de la lorgnette. Il s'en souviendra longtemps après… Guiseppe Tornatore a tourné la plus grande partie de son film : « Baaria, en Tunisie, reconstituant le décor de Bagheria, sa ville natale. « Le plus grand décor de cinéma depuis des décennies, après le Gallion de Pirates (Roman Polanski), pour un coût de quinze millions d'Euros », nous apprend le dossier de presse. Sauf qu'au-delà des chiffres, du budget consenti et des détails du tournage, il y a là à l'arrivée un très beau film, émouvant, bouleversant même par moments, mais non dénué d'humour, comme une ode que l'auteur de l'inoubliable « Cinéma Paradiso » adresse à sa ville natale. Un peu comme un poème d'amour épique, qui s'étalerait sur un demi-siècle. De la fin des années 1910 jusqu'aux années 70, en racontant une saga familiale sur trois générations, mouvementée, passionnante et passionnée, comme on retourne une clepsydre avant de fermer les yeux, et de remonter le cours des souvenirs. Les images sont magnifiques, la musique d'Ennio Morricone vous emporte dans son sillage en vous martelant les tripes par à-coups, et les acteurs, pourtant des inconnus, tout simplement sublimes et attachants. Et pas seulement le couple formé par Peppino (Franscesco Scianna) et Mannina (Margareth Madé), et qu'on ne peut oublier. Et comme dans « Cinéma Paradiso », l'hommage à la petite ville de Baaria s'avère inextricablement lié à celui que Guiseppe Tornatore rend au cinéma. La passion de toute une vie. Vous ne pouvez pas comprendre ? Allez voir le film qui sortira en salles à partir du 26 juin courant, à l'Alhambra (La Marsa), Hannibal (El Manar), Le Parnasse (Tunis). Et, comme il est dit dans ce film : « Vous ne savez pas danser ? Vous ne pouvez pas comprendre… ». Pas le socialisme ici en l'occurrence. Produit par Tarak Ben Ammar (Quinta Communications), d'une durée de 2h 40', « Baaria » respire une part d'enfance, une part d'innocence et de rêve comme un paradis perdu, malgré ses bruits et sa fureur. Et distille une sourde mélancolie…