Nous avons fait la remarque, dans un article récent, que l'islamophobie qui s'est répandue dans plusieurs milieux occidentaux, notamment après les attentats du 11 septembre 2001, a ses bons côtés et que le monde musulman peut en tirer le meilleur parti. Parmi les bienfaits de cette peur parfois injustifiée ou franchement exagérée, le nouveau regard que portent les musulmans sur leur culte et les réflexions plus approfondies et moins passionnées qu'ils conduisent à propos de leurs rapports aux autres religions et aux autres sociétés. En Tunisie et dans plusieurs autres pays arabes, la décennie qui vient de s'écouler fut marquée par la tenue de multiples rencontres nationales et internationales sur l'Islam et sa pratique dans le monde globalisé où nous vivons désormais. Le tout dernier colloque international organisé par le laboratoire Diraset-Etudes maghrébines, de la Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis, s'inscrit à sa manière dans cette optique. « Les sociétés islamiques sont-elles hostiles au compromis ? Perspectives historiques et socio-anthropologiques », tel est le titre de cette manifestation scientifique et culturelle qui réunit les 15, 16 et 17 mars 2010, un nombre important de chercheurs tunisiens avec leurs confrères venus du Maroc, de France, de Belgique et de Suisse. Des interventions remarquables Comme le souligne son argumentaire, ce colloque vise à initier une réflexion approfondie sur le concept de compromis, sur ses enjeux à la fois théoriques et pratiques et sur sa place aussi bien en Islam que dans les sociétés arabo-islamiques. Il permet de questionner le passé et le présent de ces sociétés pour étudier la place qu'y occupe le compromis, avec l'espoir aussi d' « ouvrir la voie à une compréhension nouvelle de leur évolution et des défis qu'elles doivent relever face aux exigences de la modernité ». Les travaux du colloque furent répartis en 9 séances qui donnèrent lieu à une trentaine d'interventions parmi lesquelles celle, remarquable, de M. Yadh Ben Achour dont voici un résumé : pour ce professeur émérite tunisien, la civilisation islamique, non seulement n'est pas étrangère au compromis, mais a véritablement organisé le culte du compromis. Le compromis fait partie, selon lui, de son Idée première et de son expérience originelle. L'histoire de cette civilisation démontrera amplement par la suite que le sens et l'expérience du compromis se trouve au cœur du système. Le compromis y apparaît en effet sous des formes multiples relatives à la renonciation au droit « ‘afw », « takhâruj » et « tanâzul », à la transaction « sulh », à l'arbitrage « tahkîm » et « musâlaha » au pardon « ghufrân » et « ‘afw ») ou à la tolérance « tasâmuh ». Dans sa communication, Yadh Ben Achour évoque d'ailleurs plusieurs types de compromis récurrents dans l'histoire de la civilisation islamique, tels les compromis historiques inauguraux, les compromis de cohabitation, de patrimoine culturel, ainsi que les compromis théologiques et juridiques. Le compromis dans tous ses états Dans sa brève contribution, M. Jamil Hayder, représentant de la Fondation Hanns Seidel qui a financé le colloque, compare deux exemples de pratique du compromis en France et en Allemagne. Les autres interventions nous semblent toutes dignes d'intérêt, plus particulièrement celles de Jocelyne Dakhlia (directeur d'études à l'Institut d'Etudes de l'Islam et des Sociétés du Monde Musulman)sur la langue franque comme langue de compromis entre l'Europe et l'Islam ; celle d'Emmanuelle Tixier du Mesnil (maître de conférences à Nanterre) qui étudie l'exemple du XIème siècle andalou pendant lequel le compromis fut érigé en mode de gouvernement ; celle de Philippe van Parijs (professeur à l'Université catholique de Louvain) qui tente de définir ce qu'est « un bon compromis » ; celle de Michel Camau (professeur des Universités émérite) qui étudie les compromis de l'hégémonie et donne des remarques sur l'Europolity et ses relations de partenariat avec les pays de la rive sud de la Méditerranée ; celle d'Abdellatif Hermassi (professeur de sociologie à l'Université de Tunis) sur les luttes doctrinales et les compromis dans l'Islam classique. Sont également remarquables entre autres les exposés d'Azzeddine Allam (de la faculté de droit de Mohammedia au Maroc) sur le rapport entre religion et pouvoir, de Hichem Abdessamad (historien de l'Université de Tunis) sur le Code du Statut Personnel en Tunisie, de Bernard Botiveau (directeur de recherches à Aix-en- Provence) sur le gouvernement d'union nationale en Palestine. Couverture réalisée