Où vont les médias tunisiens ? C'est une question qui me taraude l'esprit depuis un bout de temps et qui devient de plus en plus insistante ces derniers jours, avec la multiplication des débats sur le rôle des médias, leurs missions, leurs statuts et surtout leurs « dérives » selon certains. Destinés essentiellement à informer, divertir, et éduquer, les médias tunisiens connaissent depuis quelque temps (surtout depuis l'adoption du principe de la privatisation des supports audiovisuels), une mutation aussi bien quantitative que qualitative, qui a profondément affecté leurs modes de fonctionnement et surtout leurs contenus. Haut lieu d'expertise des formes et des discours, les médias, leurs modes de fonctionnement juridique et économique et leurs contenus ont toujours été affectés par deux éléments essentiels : les contraintes liées à la production et la diffusion du contenu et les attentes d'un public de plus en plus exigeant et surtout de plus en plus volatile. Partant de là, les médias toutes catégories confondues sont tiraillés entre la réponse aux exigences de leurs bailleurs de fonds en l'occurrence les annonceurs et les attentes extrêmement flottantes de leurs publics. C'est ainsi que le discours a muté vers le méta discours, l'information est devenue une mise en scène du vécu, avec ce que cela implique comme procédés sensationnels et de manipulation. Les débats se sont transformés en règlements de compte. En résulte, des critiques acerbes, des atteintes à la vie privée, des insultes en direct ou en différé, un dénigrement systématique des actions des uns et des autres, un langage indécent voire par moments, vulgaire, de la personnalisation et de la prétention de la part de certains « animateurs » à bout de champ. Certains, effarés par ces dérapages incessants s'insurgent contre les dérives sur nos ondes, nos antennes et nos périodiques, d'autres apprécient, arguant le soit disant droit à la « liberté d'expression », c'est que les intérêts des uns et des autres n'ont rien de commun. Les défenseurs des « lignes rouges » à ne pas dépasser et du retour à un journalisme éclaireur, constructif et respectueux fustigent le manque de compétence, l'irresponsabilité, l'amateurisme et le non respect des règles déontologiques d'une pratique saine du travail journalistique alors que, les responsables des supports incriminés se justifient, arguant qu'ils ne font que répondre à un besoin exprimé par le public (chiffres d'audiences et micro trottoir à l'appui). Mais de quelle liberté d'expression parle-t-on ? De la liberté de diffamer, de la liberté de stigmatiser, de la liberté d'insulter, de la liberté de ridiculiser? Qui dit liberté dit aussi responsabilité, respect et auto censure, certains semblent l'avoir oublié. Paradoxalement, toute cette agitation du champ médiatique ne me surprend guère, lorsque je vois que le statut de journaliste est accordé au rabais, que le contrôle des pratiques et des contenus médiatiques est délibérément négligé, que l'application du code de la presse en matière de recrutement est ouvertement oubliée et que des pseudos journalistes sont glorifiés. Pourtant, les textes réglementaires, juridiques et déontologiques d'une pratique saine du métier journalistique existent, il suffirait juste de les appliquer et de les respecter et le champ médiatique redeviendra le quatrième pouvoir présumé. * Dr en journalisme et communication