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Le journalisme tunisien fait-il bon usage de la liberté qui lui est accordée?
Près de deux ans après l'expérience démocratique
Publié dans Le Temps le 28 - 11 - 2012

«Le journalisme à l'épreuve de la liberté », tel est le thème du colloque organisé, du 18 au 21 novembre, au local du CAPJC (Centre Africain de Perfectionnement des Journalistes et des Communicateurs), par le réseau Théophraste (réseau francophone mondial des centres de formation au journalisme) avec le soutien de l' « Agence Universitaire de la Francophonie ».
L'IPSI(l'Institut de Presse et des sciences de l'Information)est, évidemment, de la fête en tant que partie prenante du réseau sus-indiqué. Comme le laisse entendre le titre, l'objet d'étude de ce colloque est l'appropriation de la liberté de la presse par les journalistes tunisiens et ce en se référant aux pratiques professionnelles, aux modes de régulation et d'autorégulation. En d'autres termes, la liberté est une responsabilité : ceux qui en bénéficient devraient en faire bon usage et savoir ce qu'il faut dire et ce qu'il ne faut pas dire. « Tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité », dit Victor Hugo.
Les observateurs sont unanimes à reconnaître l'apport des médias dans cette phase transitoire qui ne s'opère pas en douceur. Leur contribution au processus de démocratisation de la vie politique se heurte à des écueils, souvent difficilement, surmontables à cause de deux facteurs essentiels, à savoir l'inculture d'une masse populaire assez importante et l'action corrosive de forces locales et étrangères n'ayant pas intérêt à ce que la transition démocratique réussisse. Mais, aussi, en raison de dépassements et dérives commis par certains médias et journalistes. Donc, dans leur mission de conscientisation de l'opinion et son acculturation, ces derniers sont tenus d'observer l'éthique et la déontologie du métier en attendant la mise en application effective des décrets-lois 115 et 116 activés, par le gouvernement, le 17 octobre dernier après des mois de blocage. Il s'agit, là, du premier axe du colloque, la régulation et l'autorégulation. Le second porte sur le financement privé et public de ces médias et leur indépendance vis-à-vis de ces sources financières. Quant au troisième axe, il est inhérent à la formation et au recyclage des journalistes en cette période de transition démocratique où de nouveaux besoins journalistiques se font sentir comme l'investigation, et là, les limites entre la liberté de la presse et celle des autres parties deviennent embrouillées, ce qui veut dire que l'observance des principes éthiques et règles déontologiques s'impose pour les délimiter, puisque les risques de dérive sont bien réels.
Pour mieux appréhender les résultats auxquels aboutit le colloque et les réponses qu'il fournit à tout ce questionnement, nous jugeons utile de recueillir les avis des spécialistes en la matière, Tunisiens et étrangers. Nous commençons, comme il est de coutume, par les invités.
Marie Jeanne RAZANAMANANA, Université d'Antananarivo-Madagascar :
Le financement dans le secteur des médias n'est pas désintéressé
-Le Temps : qu'est-ce que vous pensez du financement des médias?
-Je pense qu'il bloque l'indépendance quelque part. Ce financement a un impact certain sur le secteur journalistique, son intervention dans ce secteur fait, toujours, soupçonner la présence d'un intérêt politique ou économique. A part la télévision et la radio de l'Etat, tous les autres médias appartiennent à des groupes de leaders d'opinion, des partis politiques et des opérateurs économiques. Donc, les journalistes se trouvent contraints de suivre les lignes éditoriales de leurs patrons. Dans ce cas, ils sont indépendants à l'égard de l'autorité politique qui ne leur impose pas de censure, étant donné qu'ils ne dépendent pas d'elle financièrement, mais cette indépendance ne les empêche pas de s'autocensurer par rapport aux exigences des propriétaires des médias.
-Comment évaluez-vous le résultat de ce colloque en tant que concepteurs et organisateurs?
-On ne peut parler ni d'échec, ni de réussite, toutefois, cela répond, vraiment, à nos attentes dans la mesure où il y a des réflexions et des rebondissements de la part du public qui a, non seulement assisté, mais participé au débat et à ces réflexions. Il a pris une part active à ce chantier de la démocratie en Tunisie, ce qui a fait de lui un acteur à part entière jouant un rôle important dans l'aboutissement de ce travail de trois jours de travail.
Claire SECAIL, Laboratoire Communication et Politique du CNRS (LCP) :
Le journaliste devrait décrypter le message politique et en dégager le non-dit
-Le Temps : si vous nous parliez de l'expérience des meetings en France de 2012 et la manière de les négocier par les journalistes?
-Cela pourrait être un angle pour observer la façon dont les rapports se jouent entre les médias, les journalistes et les hommes politiques pendant un moment très fort d'une société qui vit dans un cadre électoral, à savoir la désignation d'un personnage politique qui va être en charge de dossiers très importants qui vont faire évoluer cette société. Les meetings, on peut les prendre comme un média en tant que tel qui est lui-même médiatisé, mais une parole qui est brute qui dévoile une stratégie politique des candidats qui prononcent ces discours-là qui sont appropriés, par la suite, par des médiateurs, des journalistes qui sont en charge d'émettre soit des comptes rendus sous forme de tribunes, de chroniques où ils laissent paraître des jugements de valeur sur ce qui a été dit, soit des analyses plus factuelles. Le meeting c'est le petit battement du cœur, on sait qu'il va arriver, à chaque fois, cependant, un corps ce n'est pas que le cœur, un organe électoral ce n'est pas juste les responsables politiques, c'est tous les organes qui sont solidaires les uns avec les autres. Donc, on peut voir cette imbrication de tous ces acteurs de la campagne et déceler les enjeux, les mécanismes qui font qu'au final les publics vont comprendre certaines choses d'une campagne, d'un candidat, etc. Ce qui veut dire que toutes ces étapes ont un sens qu'on peut étudier à travers un moment politique que nous offre le meeting.
-Comment le journaliste peut-il échapper aux influences que pourraient exercer sur lui toutes les stratégies mises en œuvre par les politiques lors de ces meetings?
-C'est vrai que, dans cette manifestation, il y a un enjeu très fort d'images, mais je rappelle que, contrairement à la télévision, la radio en fait des comptes rendus et que les sons, la perception d'un discours juste sans image peut être, parfois, plus forte pour la compréhension d'un message politique, parce qu'on n'est pas détourné de l'essentiel par toutes les stratégies que les candidats ont mis en place comme les drapeaux, les lumières, etc., et on plonge au cœur de ce message. Et c'est là que le rôle et la compétence du journaliste sont importants, et il faut prendre, après, le temps, avoir l'espace sur les colonnes de son journal ou à la téléradio des reportages pour, ensuite, décrypter le discours, le mettre à jour, ne pas s'en tenir au message politique et voir pourquoi le candidat aborde ces questions-là, quels sont les enjeux de traiter ces thèmes-là et quelle est la façon dont il les traite. Il ne faut pas se laisser influencer par les hommes politiques qui veulent imposer leurs agendas politiques. Tout cela suppose du temps et un certain travail journalistique sur des recoupements de faits, des chiffres qui ont été donné, qui ne sont pas authentiques et qui sont un peu augmentés ou sous-estimés, ce qui n'a pas été dit, car c'est aussi à travers le silence que le journalisme se fait, qu'il doit être repéré. C'est, à mon avis, un angle très fort et une clé très forte qui ne sont pas assez utilisés par les journalistes. Ils devraient avoir la capacité de repérer les tabous, parce que c'est à travers ces marches, en interrogeant des normes que la société évolue et que la transition et l'accompagnement par les médias pourraient se faire dans de bonnes conditions.
Que pensez-vous de la diffusion, par les médias, des événements émouvants et spectaculaires produisant l'effet de la politique spectacle ?
-J'ai entendu, dans le colloque, une critique de cette politique spectacle, du rôle, parfois, du sensualisme et des faits divers, sur lesquels j'ai travaillé. Moi, personnellement, j'ai une approche nuancée, je trouve que, pour ne pas tomber dans le piège d'être manipulé par le discours et les stratégies des communicants politiques, le fait divers est un événement qui permet de mettre sur la table des sujets, souvent, très douloureux, sensibles. Je me rappelle d'une jeune fille qui était victime d'un viol et qui se faisait avorter en France pendant les années soixante-dix et, à ce moment-là, on ne parlait pas de ces sujets-là. Ce procès a permis une vraie réflexion de la société. Donc, il ne faut pas que les journalistes s'empêchent, au nom d'une critique du sensualisme, de s'emparer de certains sujets, bien au contraire, c'est une façon progressiste de faire avancer la société. Le message politique n'est pas vertical, il faut partir de la société civile, de ce qui se fait, de ce qui n'est pas dit.
- Comment jugez-vous la situation actuelle des journalistes tunisiens?
- J'étais très sensible, pendant la table ronde, à la lucidité et, en même temps, à la souffrance qui était vécue par les journalistes vis-à-vis du contexte actuel. Ils sont désemparés, mais c'est très stimulant, puisque toute la liberté est entre vos mains en tant que professionnels, j'ai trouvé très intéressant le fait qu'il y avait une volonté de renouveler toutes ces pratiques, de faire des enquêtes, de ne pas faire que de la tribune et d'être juste un relais d'opinion, c'est-à-dire que celle-ci vient d'en haut et qu'on la relaye pour le bas. Je pense qu'il y a un champ d'investigation énorme, d'enquête et de reportage qui se fait plutôt dans le sens contraire, c'est-à-dire être se placer en face de cette société et repérer ce qui est possible quitte, parfois, à prendre des risques tout en respectant le cadre légal. La période est une période de transition, donc, il est très important que tout soit mis sur la table, parce qu'on aurait des élections libres, des partis pluriels. Il faut mettre des réalités derrière ces mots nobles que sont le pluralisme, la liberté de la presse, etc., cela suppose prendre des risques.
-Donc, c'est au journaliste de faire prévaloir l'enjeu au détriment du jeu.
-C'est vrai que les hommes politiques ont tendance à vouloir être dans le jeu de la campagne, car cela facilite l'expression de leur identité, leur autorité, leur crédibilité..., ce sont les stratégies des communicants. Mais pour les journalistes, c'est tout à fait le contraire, ils ont la tâche de rétablir ces enjeux réels qui doivent être posées clairement et le plus honnêtement possible, je n'ai pas dit de façon neutre, parce que la neutralité, à mon sens, n'existe pas, ni l'objectivité, d'ailleurs. C'est la société qui a un besoin de liberté, les politiques, eux, en sont l'émanation. Donc, c'est elle qu'il faut transformer et sur laquelle il faut se focaliser.
Amadou Nidaye (Sénégal) :
Nécessité de l'encadrement de l'aide à la presse pour qu'elle soit accessible à tous les médias
-Le Temps : que pensez-vous du financement des médias ?
-Ces derniers jouent un rôle assez important dans le travail d'information, de sensibilisation et de vulgarisation des différentes activités politiques, socio-économiques..., et on se rend compte que les frais des tirages et les ventes ne parviennent pas à couvrir toutes les dépenses afférentes à ce genre d'activités. Voilà pourquoi, je trouve que c'est une bonne chose que l'Etat soutienne et appuie les différents groupes de presse dans l'exercice de leur mission de service public.
-Ce financement ne risque-t-il pas de devenir un moyen de pression sur ces médias ?
-Bien sûr, n'oublions pas que, souvent, celui qui a les moyens a le pouvoir surtout quand l'Etat fournisseur n'est pas très au fait des activités de transparence. L'argent qu'on alloue à la presse c'est un argent public qui ne devrait pas être utilisé pour faire des pressions. Pour éviter cela, il faudrait encadrer cette aide à la presse de sorte que tous les organes médiatiques puissent en bénéficier. En d'autres termes, cela ne devrait, en aucun cas, entraver la liberté d'expression, on verse des subventions à la presse pour l'aider à s'améliorer, mais pas pour lui faire subir des pressions, de telles pratiques sont à exclure.
-Quels sont les moyens pour se prémunir contre d'éventuels dépassements ?
-Pour être à l'abri de tels risques, il suffit d'avoir une législation et de mettre en place des conditions transparentes pour que ne puisse accéder à cette aide-là que l'organe de presse qui les satisfait vraiment, et éviter, ainsi, qu'il y ait des privilégiés, c'est-à-dire des personnes qui en bénéficieraient d'une manière indue.
-Mais les médias, aussi, ne sont pas exempts de tout reproche, on les accuse de partialité. Partagez-vous ce jugement ou bien, au contraire, vous estimez que le travail journalistique se définit par la neutralité ?
-Il est difficile de parler d'impartialité, le journaliste est un être humain, ce qui veut dire que, souvent, il y a une part de subjectivité qui intervient. Mais ce qu'on lui apprend dans les écoles de journalisme c'est d'être, d'une certaine façon, honnête dans le traitement de l'information, en ce sens que ses convictions personnelles ne devraient pas impacter sur sa manière d'analyser. Qu'il soit du bord de l'opposition ou du côté du gouvernement, un journaliste devrait être au-delà de toutes ces considérations, il faut qu'il ait comme mission l'information du public, car une information de qualité c'est une information qui est, plus ou moins, impartiale. Mais cela c'est un grand défi.
Pascal GUENEE, Président du Réseau Théophraste
Le pouvoir politique essaye, toujours, de profiter du vide juridique pour tout bloquer
-Le Temps : est-ce qu'on peut considérer que le journaliste tunisien a, vraiment, réussi cette épreuve de liberté ?
-Il y a une période d'adaptation, et c'est, justement, ce qu'on vit, aujourd'hui, en Tunisie. Les journalistes sont en cours d'appropriation de ces nouveaux outils de la liberté chère, et je crois qu'il va falloir définir, collectivement, comment on doit réguler la pratique du métier de journaliste.
-Et quel est le bilan que vous pourriez établir à ce propos ?
-Du point de vue d'observation qui est le nôtre, passer trois jours ici serait un peu prétentieux de prétendre qu'on va faire un bilan. On sent des gens qui tiennent à améliorer leurs pratiques professionnelles, une réelle envie s'empare des journalistes, aussi bien individuellement que collectivement, d'élaborer de nouvelles règles de fonctionnement pour fournir au public la meilleure information possible. C'est le constat que nous avons fait pendant ce cours séjour.
-Est-ce que vous croyez que le cadre juridique établi, récemment, par le biais des décrets 115 et 116, est capable de régulariser le métier de journalisme en Tunisie ?
-Je pense que c'est important qu'il y ait un cadre qui soit défini. N'étant pas un expert en droit, je ne vais pas me prononcer sur les décrets eux-mêmes, mais, en tout cas, ils vont permettre, sans doute, d'avoir un cadre juridique, car c'est, toujours, dangereux d'être dans une période de vide absolu. Le risque en pareilles circonstances c'est qu'au fond le législateur laisse faire un certain nombre de débordements avant de tout bloquer d'un seul coup. Donc, il faut voir quelles sont les décisions qui sont prises concrètement après l'application de ces décrets pour voir, finalement, comment seront adaptés les modes de fonctionnement journalistique à ce moment-là.
-L'atmosphère régnante dans les établissements médiatiques après les mouvements de grève est-elle rassurante pour l'avenir, selon vous ?
-AH oui ! On sent que les gens ont envie de prendre les choses en main. Ce qui est dangereux c'est les périodes de passivité où on considère que tout va nous venir de l'extérieur. Ce que j'ai, vraiment, senti c'est que la situation était compliquée, mais que les gens avaient envie de faire des choses pour faire évoluer, collectivement, cette situation. C'est une période, absolument, unique, qui n'est pas, bien sûr, sans danger comme toutes celles qu'on traverse dans les périodes postrévolutionnaires, mais qui vont sortir, à mon sens, des choses positives pour les rédactions, c'est-à-dire le corps journalistique dans son ensemble.
Hamida El Bour, IPSI :
Les journalistes devraient se réorganiser et se réconcilier avec l'opinion publique
-Le Temps : le comportement actuel du journaliste tunisien, qui jouit d'une certaine liberté, dénote-t-il une certaine responsabilité de sa part?
-Je crois qu'il faut lui laisser le temps. Si les hommes politiques, la classe politique et les intellectuels tâtonnent et n'ont pas, encore, réussi cette transition, il ne faut pas s'en prendre au journaliste, puisqu'il fait partie de cette société qui est toute concernée par la démocratie. Donc, lui aussi est en train de chercher de nouvelles marques et la voie qui lui permettraient de se replacer par rapport à la scène publique tunisienne et de jouer réellement son rôle en tant qu'acteur important dans ce processus démocratique. Il y a des avancées, on ne peut pas le nier, toutefois le chemin à parcourir est encore très long à cause des pratiques anciennes qui resurgissent comme dit l'adage « chasse le naturel, il revient au galop ». Ces pratiques ont freiné voire arrêté l'évolution des médias et, malheureusement, la situation continue encore, mais, en même temps, il y a des initiatives intéressantes, une volonté de s'exprimer, de dire je veux exercer mon droit de leader d'opinion, d'être au service du public, de lui fournir les informations nécessaires qui lui permettraient de choisir, le jour j, ceux qui vont le représenter et le gouverner. Cela est quelque chose qui est en train de se faire pas sans difficulté, il est vrai, on le voit, il y a des tiraillements, des tentatives de lier le journaliste et le soumettre au desiderata du pouvoir politique.
-Comment vous paraît le climat médiatique après la dernière grève des journalistes ?
Personnellement, je crois qu'il y a un avant 17 octobre et un après 17 octobre. Indépendamment du discours approuvant ou condamnant la grève, les journalistes tunisiens, du moins une large partie d'entre eux, ont montré qu'ils ont envie de rompre avec le passé, d'exercer le métier comme ils le voient, comme il est exercé ailleurs, cet ailleurs qui est très proche, à proximité, à une heure de vol. C'est un grand défi qui nécessite que les journalistes s'organisent eux-mêmes, qu'ils fassent leur autocritique, qu'ils essayent de voir quelles sont leurs limites qu'ils devraient dépasser, de voir quelles sont les défaillances dans leur formation et d'y remédier. Sur le plan organisationnel, également, ils sont tenus d'imposer de nouvelles formes comme les comités de rédaction, les réunions périodiques, les discussions portant sur la production journalistique. C'est avec ces méthodes-là qu'on pourrait avancer.
-Ces efforts et ces sacrifices consentis par les journalistes sont-ils bien appréhendés par l'opinion publique ?
- En fait, il n'y a pas une opinion, mais des opinions, parce que, lors de cette mobilisation, une partie seulement de la société civile s'est montrée solidaire avec les journalistes, celle-là pourrait être réceptive. Il est clair qu'il existe une méconnaissance du travail journalistique. En effet, un bon nombre de citoyens ne savent pas, réellement, quelles en sont les spécificités à cause du manque flagrant dans nos pratiques de ce que certains appellent l'éducation aux médias. C'est tout un travail de proximité qui doit être fait par les médias, par les journalistes, par les centres de formation initiale ou continue pour essayer d'aller vers ce public non pas seulement à Tunis, mais, aussi et surtout, dans les régions de l'intérieur et expliquer aux gens quel est le rôle des médias, parce qu'ils sont habitués à voir une seule personne qui parle, un seul pouvoir qui décide et tous les médias qui sont, plus ou moins, chefs d'orchestre et qui assurent la même danse. Donc, il faut leur réapprendre que ces derniers ont une fonction informative à leur égard, de servir le public, d'être à son service et qu'ils ont le droit et le devoir de garder une distance vis-à-vis de tous les pouvoirs. Les journalistes devraient se concilier avec cette opinion publique dont ils font partie intégrante, la balle est dans leur camp.
Moez Ben Massoud, IPSI :
La mise à niveau entre journalistes devrait être vue comme un élément essentiel de la transition démocratique
-Le Temps : comment se présentent le libéralisme et l'intimidation dans le cadre de la relation entre la politique et les médias ?
-L'interventionnisme des hommes politiques dans les médias est, parfois, excessif. Nous vivons, actuellement une période démocratique certes, mais nous avons constaté qu'à des moments cruciaux surtout ceux des échéances électorales, ces derniers ont été, presque, achetés à cause de la présence assez forte des spots publicitaires des partis politiques. Le problème c'est qu'ultérieurement, ces chaînes diffusant ces spots n'étaient pas capables de faire la différence entre un espace publicitaire et un espace de liberté d'expression où, dans un souci de crédibilité, la neutralité serait la règle. La confusion était criante. Ensuite, il ya cette liaison dangereuse entre la politique, d'un côté, et les médias, de l'autre. Là, il faut investir dans la démocratisation des médias de service public, en Tunisie, qui devraient servir le citoyen et non pas tel ou tel parti politique. Il est de même pour les médias politiques qui ne sont pas loin de tout soupçon, certains d'entre eux arborent des couleurs partisans.
-Que pensez-vous de la régulation et l'autorégulation ?
-Je pense que pour éviter toute dérive et tout débordement d'un média, il est indispensable d'instaurer un système de régulation qui soit fiable, d'abord, qui réponde aux attentes des journalistes, ensuite, et qui corresponde à cette période de transition démocratique dans notre pays enfin. C'est vrai qu'il y a des acquis, mais il ne faudrait pas en rester là, on devrait savoir les consolider et les renforcer. Et pour ce faire, on a, justement, besoin de régulation, et les décrets 115 et 116 constituent un bon début pour effectuer cette consolidation et ce renforcement de ces acquis en matière de liberté d'expression. Pour ce qui est de l'autorégulation, je pense qu'elle devrait être appliquée en bonne et due forme par les journalistes et communicateurs professionnels. Ces gens-là sont dans l'obligation de savoir qu'il faut éviter de passer des événements diffamatoires ou qui auraient une incidence sur l'ordre public. En fait, il s'agit là, d'une certaine réconciliation entre le métier proprement dit et une certaine charte éthique et déontologie.
-La course vers la l'audience risque-t-elle de fausser le jeu démocratique ?
-Aujourd'hui, on a tendance à s'orienter vers le show politique, et la situation risque fort de connaître un certain débordement. Là, les médias en assument pleinement la responsabilité. Je reviens, encore une fois, à ce cadre éthique et déontologique, il faut que ces valeurs et principes soient respectés par tout le monde, les politiques comme les journalistes. C'est la seule voie susceptible de servir cette transition démocratique et la faire aboutir en la menant à bon port.
-Pourquoi ne pense-t-on pas à la formation et au recyclage des journalistes non professionnels à l'image de ce qui se passe au Sénégal, par exemple, où l'Etat se charge de verser des fonds pour assurer ces fonctions ?
-En Tunisien on essaye, tout d'abord, de renforcer une formation académique et professionnelle qui se fait au niveau de l'IPSI. Mais en dehors de cette fonction primordiale, notre institution dispose de fonds employés pour la professionnalisation du métier, c'est-à-dire le renforcement des acquis en journalisme comme la Deutsch Villa Académie avec laquelle on a mené un certain nombre de sessions de formation pour les journalistes qui sont dans les différents médias et beaucoup de journalistes qui ne sont pas titulaires de licence ou de maîtrise de journalisme ont bénéficié d'une formation sur la couverture des événements politiques.
Donc, l'IPSI dispose de toutes les conditions académiques requises pour prodiguer des connaissances approfondies en fait de journalisme pour les non professionnels, seulement un tel effort est très couteux, il nécessite la présence de fonds assez importants. S'il veut assurer une bonne professionnalisation et une modernisation du métier, l'Etat devrait y participer activement, d'autant plus, que dans plusieurs médias, il y a des journalistes qui exercent sans avoir de diplôme de journalisme. La mise à niveau devrait être vue comme un élément essentiel de cette phase, extrêmement, délicate de cette transition démocratique. Des concertations entre le syndicat et les entreprises médiatiques sont nécessaires pour définir le taux de participation de l'Etat. Et pourquoi ne pas impliquer, dans cet effort de financement, ces dernières, puisqu'elles bénéficient d'une taxe professionnelle, en exigeant d'elles d'apporter leur contribution matérielle dans ce projet et poser cela comme condition sine qua non pour l'octroi de cette taxe afin de faire avancer la professionnalisation du métier?

Dossier instruit par Faouzi Ksibi


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