L'exposition présentée actuellement à la maison de Victor Hugo, place des Vosges, est composée autour des Orientales, le deuxième recueil de poèmes de l'écrivain publié en 1829, à l'âge de 27 ans. Au début du XIXe siècle l'Orient devient la source d'inspiration d'une génération montante d'écrivains et de peintres qui plus tard seront appelés Romantiques. Pour ces jeunes artistes, le catalogue antique est épuisé et il est l'heure de se dégager de l'esthétique étroite des Classiques. Entre poésie et peinture, la scénographie de l'exposition veut faire jouer la gamme des correspondances entre les dessins et les poèmes de Victor Hugo, affichés sur des cartels, et plus de 140 œuvres, tableaux, manuscrits, gravures, dessins, sculptures, livres illustrés qui embrassent la thématique orientale. Elle joue de la mise en résonances de la poésie chromatique d'Hugo où « tout vacille et se peint de couleurs inconnues » et l'orientalisme naissant de Géricault et de Girodet puis de Delacroix, de Descamps, de Boulanger, de Chassériau.... Cet Orient, à la fois, incandescent et obscur, est le nouveau fond commun de jeunes artistes plongés dans les grisailles de Paris et de la monarchie restaurée. Ils ont des préoccupations de forme, leur vérité est plus esthétique qu'humaniste. L'Orient s'ouvre comme un abondant répertoire de formes et de couleurs, tour à tour, turques, grecques, persanes, arabes ou espagnoles. Victor Hugo n'a jamais fait le voyage. Il revendique l'imaginaire d'un Orient «devenu pour les intelligences autant que pour les imaginations, une sorte de préoccupation générale». Dès sa préface, il déjoue les critiques en qualifiant son livre d'inutile et de pure poésie. L'Orient fascine et les vers de 1829 mêlent les galops de fantasias, la complainte du sultan vaincu, le silence du sérail. Le rapprochement entre les poèmes de Victor Hugo et les œuvres graphiques juxtapose quatre sections : les inventeurs de l'Orient, la guerre d'indépendance de la Grèce, l'Orient inspirateur, la femme orientale. Les inventeurs ce sont les explorateurs, les voyageurs et les conquérants. Et Chateaubriand, jalousé par Hugo, dont l'«Itinéraire de Paris à Jérusalem et de Jérusalem à Paris » de 1806 ouvre la voie de tous les voyages et à bien des accommodements avec la réalité. Parmi les conquérants se trouve bien sûr Bonaparte et son expédition. La campagne d'Egypte devait couronner un nouvel Alexandre, elle a transformé une déroute en rêve exotique. À la fin des années 1820, l'actualité c'est la guerre d'indépendance de la Grèce contre l'Empire ottoman. La première partie des Orientales est traversée de figures guerrières emportées par l'élan. Parmi les premiers, Delacroix a pris fait et cause pour les Grecs. Cependant, un exceptionnel ensemble de portraits révèle, que la fascination des peintres (Géricault, Girodet...) s'attache plus volontiers à l'ardeur sombre et cruelle des Ottomans qu'à la douleur de leurs pâles victimes. La troisième section présente la grâce sauvage vue par les orientalistes avec un bestiaire de fauves et d'étalons. La beauté farouche devient tangible dans les dessins d'animaux (Delacroix encore) et les bronzes admirables de Barye. La dernière est réservée au sortilège des sultanes et du harem : Sara la baigneuse, Nourmahal la Rousse, la Femme au perroquet, la belle Captive rêveuse de Chassériau qui pourrait dire comme la captive de Hugo, «La nuit j'aime être assise,/Être assise en songeant…». Les poèmes dialoguent avec les tableaux de la passion de l'art pour l'art. L'Orient, lui, est ici tel la caravane des Djinns. Ce poème où la longueur des vers, crescendo puis de decrescendo, traduit le mouvement d'une chose proche, présente, disparue. J'écoute Tout fuit Tout passe L'espace Efface Le bruit.