Abdelwahab Meddeb, écrivain franco-tunisien, est partisan d'un Islam moderne et éclairé. Sa double culture lui a permis de comparer civilisations arabes et persanes d'un côté et civilisations occidentales de l'autre. Il n'a de cesse de prêcher un rapprochement entre ces différents univers culturels en adoptant une approche radicalment critique à l'égard de l'islamisme contemporain qui est en train confiner les populations musulmanes dans l'isolement. Dans son dernier livre « Pari de civilisation », l'auteur fait preuve d'une nette opposition à une lecture figée et littérale du Coran et propose une relecture de la Tradition (Hadith) « afin de conduire ce travail de mémoire et de dépassement. Pour se prémunir du malheur, il est demandé à l'islam de rejoindre une modernité à la hauteur de ce qu'ont réussi juifs et chrétiens ». Meddeb tente une explication des versets coraniques en s'appuyant sur les contextes de leur révélation afin de mettre fin à la guerre des interprétations abusives, erronées et arbitraires qui se pullulent partout dans le monde islamique. Les versets relatifs à l'esclavage, à la polygamie, au Jihad, à l'inégalité entre sexes, aux « houdoûd » (les sanctions pénales traduites en châtiments corporels) et à toutes les autres dispositions juridico-politiques, doivent être neutralisés selon l'auteur pour mieux conduire les exégèses des textes coraniques. Pour ce faire, il ne suffit pas d'encourager un « islam du juste milieu », comme s'y engagent des Etats islamiques, notamment l'Arabie Saoudite. « C'est un pas trop timide surtout pour la présence de l'islam en Europe, où les citoyens musulmans ont en effet les moyens de vivre selon leur libre conscience, dans l'esprit du droit positif et des droits de l'homme en abolissant toute référence à la sharî'a». Aussi, la situation actuelle du monde musulman contraste radicalement avec la gloire passée de la civilisation musulmane célébrée par l'auteur tout au long de son ouvrage. Si les pays musulmans souffrent actuellement de despotisme, de fanatisme, de superstition, d'obscurantisme, de misère économique, de sous-développement et d'absence de contrat social intériorisé, c'est parce qu'ils considèrent l'apogée atteinte par l'Islam comme « la fin de l'histoire ». Dans sa complexité, nous dit Meddeb, l'Islam doit être approché comme civilisation, comme religion et comme désir politique.» Or, l'on assiste aujourd'hui à une éclipse des deux premiers termes (civilisation et religion) au profit d'une violence criminelle extrémiste et des actes meurtriers pratiqués au nom de l'Islam. L'auteur se montre très critique à l'égard de l'islamisme contemporain, en puisant dans l'histoire, la civilisation et la tradition musulmanes, y compris dans le soufisme qui constitue selon lui « une véritable reconnaissance de soi et non à son déni »). Par ailleurs, Meddeb invite les musulmans à questionner leur rapport à la nature en se remémorant les préceptes appelant à habiter proprement le monde. Le défi à relever consiste à mettre en évidence la pertinence de la tradition et de la pensée islamiques et leur ancrage dans la modernité. « Pari de civilisation » se veut un livre salutaire dans le contexte actuel, un antidote contre la montée des intégrismes de tous bords. « Je ne vois pas comment retrouver la fonction symbolique du Coran sinon en rendant le sens à son obscurité, c'est-à-dire en renvoyant le Texte à son infini, ce qui ferait de son interprétation une tâche perpétuelle, jamais achevée, toujours recommencée, loin des vérités naïves et des évidences fallacieuses qui fanatisent les foules… » Le message est clair : reconsidérer le passé islamique en procédant à une relecture permanente des Ecritures saintes, tout en valorisant la civilisation islamique, de sorte que les musulmans franchissent les frontières d'une identité restreinte et souvent figée pour agir sur la scène du monde, comme ils l'ont fait par le passé. * « Pari de civilisation » d'Abdelwahab Meddeb, Paris : Seuil, 224 p.