Mustis, voyons, où se trouve-t-elle ? Depuis l'Antiquité, elle est sur la grande voie qui reliait la ville principale, jadis Carthage, aujourd'hui Tunis, à la capitale de la Numidie : El Kef. Un superbe arc de triomphe, qui enjambait cette voie, l'annonce à tous les voyageurs. Nous rappellerons, très brièvement, tout l'intérêt de cette route qui pourrait s'appeler la « voie romaine » : Medjez El Bab, porte de la Numidie, avec son majestueux pont andalou et son grand tumulus berbère, Sloughia, le minaret de sa mosquée est très original, Testour qui a conservé l'héritage andalou, Aïn Tounga / Thignica, un très beau nymphée vient d'y être découvert, la pépinière d'Aïn Jemala aux sous-bois parsemés d'orchidées sauvages, Téboursouk qui recèle les vestiges d'une belle citadelle byzantine, puis la route passe au pied d'une colline sur laquelle se dresse Dougga et elle traverse une petite bourgade appelée la Nouvelle Dougga. A partir de là, on connaît beaucoup moins la région : à la sortie de la Nouvelle Dougga, masquée par des haies de grands arbres, une très belle citadelle byzantine agonise. Elle est habitée par une famille d'agriculteurs, modestes puisqu'ils n'ont pas pu faire construire une maison « moderne », mais qui, depuis des années, débite en petits morceaux les magnifiques pierres taillées, souvent ornées d'épigraphies importantes, empruntées au site romain d'Agbia sur lequel cette citadelle a été construite. Le site d'Agbia ne figure plus à l'inventaire de l'Atlas archéologique de la Tunisie que pour mémoire : depuis des années, sans que personne s'en soit ému, une énorme carrière s'est installée et se développe au pied d'une colline, en train de disparaître, à la limite du site. Les énormes camions et engins de chantier ont complètement arasé, et fait disparaître les vestiges d'Agbia. Au moment où il est question de développer un grand programme de tourisme culturel dans les quatre gouvernorats du Nord-Ouest, n'est-il pas souhaitable de sauver, au moins, la citadelle d'Agbia ? Elle illustre parfaitement la politique byzantine aux VIème et VIIème siècles, en Afrique du nord. L'existence d'une véritable « chaîne » de forts : Aïn Tounga/Thignica, Téboursouk/Thubursicum Bure, Dougga/Thugga, Borj Brahim/Agbia, El Krib/Mustis, Garn El Kebch/Aunobari, bâties à quinze - vingt kilomètres l'une de l'autre prouve la puissance et l'ampleur des révoltes berbères - les ancêtres autochtones des Tunisiens ! - qui avaient imposé la présence en Tunisie des généraux byzantins les plus compétents : Bélisaire, Solomon et Jean Trogliata. Ne serait-ce que pour cette raison, la citadelle d'Agbia ne devrait-elle pas être protégée ? Très peu connues, les vestiges berbero-romano-byzantins de Garn El Kebch, méritent une visite. Ne serait-ce que pour la nécropole mégalithique qui présente plus d'une centaine de dolmens dont trois ont des chambres sépulcrales soit doubles et mitoyennes soit construites en grosses pierres sommairement appareillées et couvertes d'une double rangée de dalle étroites ; le tout est entouré d'une enceinte de dalles non jointives. Ce site se trouve à six, sept kilomètres d'une bonne piste carrossable qui part de la route nationale au voisinage du pont sur l'Oued R'mel. Dix kilomètres plus loin, on atteint la nécropole à haouanet de bled zehna, près de la source d'Aïn El Flous. Pour tous ceux qui nous demanderaient où manger et se reposer, nous proposons soit de revenir à Téboursouk soit de s'arrêter à un superbe petit établissement dissimulé dans un verger que les haies de clôture « dénoncent » à gauche de la route, après le pont sur l'Oued R'mel. C'est une ancienne « maison de maître », entourée de centaines de rosiers et d'autres espèces florales, qui a été transformée et aménagée pour recevoir des clients qui seront certainement séduits, à notre avis. Il est possible aussi d'aller se restaurer dans une des rôtisseries d'El Krib : les grillades y sont succulentes. On peut encore, pour aller pique-niquer, après le lycée d'El Krib, gravir les premières pentes du Jebel Bou Kelil couvertes d'une belle forêt de pins qui dissimule les vestiges d'une chapelle chrétienne du XXème siècle et qui recèle au printemps, sur les pelouses des clairières, de nombreuses espèces d'orchidées sauvages.
L'HISTOIRE Mustis romaine est construite sur un site tout à fait privilégié situé au carrefour de voies antiques très importantes : celle qui joignait Carthage à Cirta/Constantine, celle menant de Carthage à Theveste/Tebessa et celle reliant Mustis à Sbeïtla/Sufetula, et bâtie à proximité de sources abondantes, au contact de plaines fertiles ainsi que de collines boisées et giboyeuses qui lui fournissaient de la bonne pierre à bâtir. Nous n'avons, encore, aucun document traitant de la préhistoire dans la région, mais les nombreux monuments mégalithiques des alentours, permettent d'affirmer qu'elle a été densément peuplée à l'aube de l'histoire. Une cité a dû naître vers les IVème - IIIème siècles avant J.C. puis faire partie du royaume Massyle du roi Massinissa. On sait grâce à un sondage réalisé par Melle Naïdé Ferchiou, historienne et archéologue, juste devant une « porte » de la cité, située à droite du temple de Cérès, que la ville romaine recouvre une bourgade numide du IIIème siècle avant J.C. qui a livré les débris émouvants d'un four « tabouna ». Avec ceux trouvés à Kerkouane, on est en droit d'affirmer que la « tabouna » fait partie du patrimoine tunisien. Le géographe Ptolémée l'appelle « _o____ » : Mousti, ce qui pourrait être son nom numide et un auteur latin V. Sequester la nomme « oppidum Musti » : le fortin Musti et situe, aux alentours, l'épisode de Regulus tuant avec ses soldats un serpent monstrueux long de 120 pieds ! Dans la « Table de Peutinger » comme dans « L'Itinéraire d'Antonin », elle se nomme Mubsi. La cité romaine semble naître, après la défaite de Jugurtha, d'une implantation de vétérans de l'armée romaine commandée par le Consul Marius, son vainqueur. Certains de ces vieux soldats sont inscrits dans la « tribu Cornelia » : la tribu de Marius, comme l'attestent des épigraphies locales. Il est d'ailleurs curieux que les vétérans de Marius, vieux soldats certainement installés là pour « pacifier » une région rebelle, s'établissent à Thuburnica, Chemtou, Ucchi majus, Musti, et Assuras/Zanfour en demi-cercle autour d'El Kef, en Tunisie et non autour de Constantine, présentée comme la capitale de la Numidie de Jugurtha, par l'Histoire officielle. Mustis ou Musti actuelle serait donc une cité romaine qui aurait reçu des colons et peut-être des citoyens italiques établis antérieurement en Tunisie, sous le règne de Jules César et elle serait devenue le Municipium Iulium Aurelium Mustitanum soit par décision de César soit qu'il aurait été fondé par Julia Domna (Julium) et Caracalla (Aurelium) soit qu'il aurait été créé par Marc-Aurèle. Il est très probable que Mustis, cité mariane, est devenue Municipe par les bienfaits de J. César. Les nouveaux citoyens rejoignent les Romains de « vieille souche » dans la tribu Cornelia. Ayant un titre authentique et prestigieux, Mustis, orgueilleuse d'avoir été fondée par César, dédaigne de devenir Colonie ! Jusque sous le règne de Théodose - durant quatre cents ans ! - elle s'intitule, en toute modestie ... apparente : Municipium Iulium. La ville semble être à son apogée durant les IIème et IIIème siècles et a dû être christianisée, comme ses voisines Dougga et El Kef, durant le IIIème siècle. Les fouilles du site ayant été très partielles, ce sont de très nombreuses épigraphies locales qui permettent de connaître l'histoire de la ville. Il semble bien que la petite citadelle byzantine ait été incendiée, au moins, une fois. Mais la petite cité a dû être « tenue » par les Byzantins jusqu'à la conquête arabe du seul fait de sa position stratégique. Elle semble avoir été abandonnée par les conquérants musulmans.
LES MONUMENTS La ville romaine a été coupée en deux par la route moderne comme elle l'était par la voie antique qui passait sous le premier arc de triomphe, qui a été restauré au XXème siècle et sortait de la cité sous le second dont il ne subsiste que les soubassements à l'extrémité ouest du site. Construite certainement sur une partie du site, la belle zaouïa dédiée à Sidi Abd Rebbah prouve, ainsi que les grands marabouts proches consacrés à Sidi Bou Araba et à Sidi Bou Baker, que l'Islam a remplacé les cultes précédents. Dès le bord de la route, une petite esplanade dallée conduit à une « porte », en partie restaurée, qui donne sur une rue pavée, marquée d'ornières et bordée par une succession de ... « boutiques » appuyés contre le podium d'un beau temple qui aurait pu être consacré à Cérès. Il a certainement été remanié à plusieurs reprises : l'existence d'un escalier condamné à gauche de la rue et le marquage dans le pavé de l'esplanade d'un escalier monumental permettant d'accéder au temple et aujourd'hui disparu, le prouvent. Dans une région agricole riche, un temple consacré à Cérès et un autre dédié à Pluton, dieux propices aux récoltes abondantes semblent « naturels ». A l'extrémité de l'esplanade, s'ouvre un temple consacré à Apollon. L'absence de podium et une orientation légèrement différente de celle du temple de Cérès presque mitoyen sont curieuses. Le site est littéralement jonché de réceptacles de pressoir à olives et il subsiste, derrière le temple de Pluton, une huilerie. L'étage souterrain d'une demeure est une réponse architecturale rationnelle aux ardeurs de certains étés torrides, comme à Dougga et à Bulla Regia. Dans certaines pierres taillées sont gravés des sexes masculins en érection, comme à Makthar et à Bulla Regia : ce sont peut être des réminiscences d'un culte très ancien de la déesse de la fécondité et, sans doute, à l'époque romaine, un signe chargé d'écarter le « mauvais œil ». Une basilique chrétienne, à trois nefs, dont le chœur est fermé par une abside, abrite un grand baptistère. Les pierres des murs de la petite citadelle trahissent la décadence de la cité : elles ont presque toutes été « empruntées » aux monuments construits antérieurement. L'une d'elle présente un beau relief : une tête, manifestement libyco-punique, encadrée par une palme de chaque côté. L'intérieur de la citadelle, qui ne devait « contenir » que peu de personnes, semble avoir comporté des « quartiers » différents. A droite de l'entrée, un groupe de grandes citernes donne à penser que le fort pouvait soutenir un long siège bien que la faible épaisseur et la solidité relative des « remparts » ne se prêtent guère à une résistance acharnée. A gauche de l'entrée, devait se tenir un « quartier de commandement ». Entre les citernes et les remparts, dans le coin Nord-Est, il devait y avoir une « habitation » dotée d'une citerne domestique. Un mur porte des encoches qui font penser qu'on y avait installé des étagères supportant ... des bibelots, du linge, de la vaisselle, on ne saura jamais. D'autres murs ont manifestement été rougis par un violent incendie. Certes, les monuments de Mustis ne sont pas aussi « prestigieux » que ceux de sa voisine Dougga, mais dans le cadre de la promotion d'un tourisme culturel régional, nous pensons que la reprise des fouilles et la mise en valeur de ce qui existe actuellement seraient souhaitables. La rédaction d'un document présentant Mustis et ses monuments nous semble nécessaire bien que les « gardiens » actuels soient aimables et compétents mais ils ne s'expriment qu'en arabe. La promotion du site de Mustis serait un atout de plus pour la région qui n'en manque pas. Les collines tout autour du Krib abritent beaucoup de gibier : perdrix, lièvres, sangliers et même des bécasses. Elles sont couvertes d'une flore intéressante : nous y avons trouvé de très belles orchidées sauvages dont l'ophrys Jugurtha. Jugurtha est présent dans la région puisque, d'après nous, la bataille du Muthul - qui est, pour nous, l'Oued Tessa - se serait déroulée au pied du Jebel Nasseur Allah dans la petite plaine appelée « La tête de vipère » durant l'été 109 avant J.C. Les paysages et les promenades, en particulier vers Fedj El Hadoum, sont magnifiques, les vestiges historiques nombreux et divers, la chasse intéressante, les possibilités de se loger et de se restaurer agréablement existent : il suffit maintenant de les faire connaître.