D'une exposition à l'autre, Samir Makhlouf joue, s'amuse, allie l'art à la science et convie ses visiteurs à tester les frontières du monde visible. Si j'avais été un petit oiseau bigleux à la vision déformée tantôt sphérique tantôt aérienne, à l'aile cassée m'obligeant à passer entre les jambes des enfants sautillant dans les cours d'écoles, je crois que c'est dans le monde de Samir Makhlouf que j'aurais évolué. Car ce qu'il faut bien comprendre, c'est que le monde de Samir Makhlouf est un monde spatial avec une vision en 3D des hommes et des choses qui explore la logique des tensions volumétriques tout en défiant les lois de la pesanteur. Il ne fait pas partie de ceux dont on doit parler rapidement. Son œuvre est colorée, harmonieuse et quel que soit le moment où on la saisit, elle sait toujours procurer la parfaite occasion de parler de l'important et de l'essentiel dans l'art. D'un tableau à l'autre, à l'aide de légendes poétiques, il explique sa théorie sur la vision binoculaire, celle qui nous permet de voir en trois dimensions justement. Partisan de la courbe plutôt que de la ligne droite, ses peintures ne sont pas dénuées d'humour et de sensibilité. « Il y avait des vendeurs de glace ambulants sur les plages avant. Tu prenais chocolat-fraise, je prenais liberté-mer. » Peintre mais aussi architecte, il poursuit son exploration en appliquant des protocoles expérimentaux, en s'inspirant souvent de ses propres enfants. Réduction ou agrandissement d'objets, vision en grand angle ou en contre plongée, mise en perspective de paysages et de bâtiments et même d'un réfrigérateur vide et pourtant ventru : « S'il ne promet pas de te remplir le ventre ; si son vide est sidéral ; si tes yeux sont affamés ; si ce frigo crie famine ; que sa contemplation ne te fasse pas baisser les bras, il est surtout la promesse de jours meilleurs. » ou encore ces toilettes qui se transforment en paysage « Les enfants adorent voyager dans les toilettes des autres car ils y font l'expérience de la spatialité à l'état pur… » On y voit une réalité déformée. On pourrait presque parler d'une lecture différée du monde qui nous entoure. Au fil des expériences, s'est dégagée la constante de Samir Makhlouf, qui peut se formuler comme suit: tout objet, humain ou animal placé dans ses décors est un opérateur qui déplace notre perception du monde. S'il avait été caméraman, on aurait dit qu'il a une manière de cadrer sacrément originale. Les peintures de Samir Makhlouf sont alors peut-être des mondaines surgies par les voies d'une alchimie cognitive, pour nous faire entrevoir les inatteignables contrées de l'envers des choses… à voir et à revoir sans jamais nous lasser...