Par Hamma HANACHI L'îlot était vivant, chaleureux et chaud, comparable à toutes les zones entourant les ports, il n'a pas été chanté comme les Hambourg (Piaf), Anvers (Ferré) ou Amsterdam (Brel), pourtant le quartier du port de Tunis avait aussi du charme. Un monde, une atmosphère, une population cosmopolite, communautés maltaise, italienne, juive. Tous liés aux métiers portuaires : transitaires en costumes, manutentionnaires en bleu de chauffe, mécaniciens en marcel, vendeurs à la sauvette, des marins en goguette, des marginaux receleurs, des marlous à l'affût, des employés de nationalités différentes. Les rues alentour étaient animées, boutiques de récupération d'objets, garages et mazout, beaucoup de gargotes à restauration rapide, c'était avant les chawarma et autres paninis, de bistrots à vins, de petites et grandes tavernes, grillades et fumées à couper au couteau, dockers braillards et vendeurs interlopes, reflets du passé qui nous revient par moments de spleen. Il n'y a plus de port, plus de transitaires ni de dockers, les quais ont pris racine à La Goulette sans les ambiances, sans ses bistrots. Aujourd'hui, un pont relie la ville à l'autoroute, une ligne de métro, et puis, la grande artère qui abritait les bâtiments et les administrations fut désertée, sinistrée. Plus tard, on annonçât tambour battant un méga-projet, une manne céleste venue d'Orient au nom de Sama Dubaï. Conférences de presse, et des maquettes en relief exhibées, un lac artificiel, des marinas, des voiliers, des gratte-ciel, des quais, des rues piétonnes, des boutiques et des villas. Le rêve à portée du citoyen, payé cash. On a évoqué un lac Léman en Méditerranée. A longueur de saison, on voyait les bétonneuses et les grues à l'ouvrage, rasant les dépôts, les tuiles des bâtiments existants. L'attente du nouveau paradis s'allonge, s'éternise et, un jour, on n'entendit plus d'écho, le paradis a glissé entre nos doigts. Les promoteurs, vendeurs de sable, ont plié bagage, laissant des terrains vagues à l'infini. Des friches laides et sans grâce. Quelques rares voix se sont élevées pour convertir ce quartier lunaire, ces lieux en espaces culturels, pas de réponses, les responsables en charge de la culture ont d'autres festivals à fouetter. Révolution. Une nouvelle tendance surgit, des jeunes contestataires s'affichent. Des artistes s'expriment dans la rue, les dessous des ponts sont pris d'assaut, des jeunes et moins jeunes s'éclatent, des scènes sont reproduites, naïves souvent, généreuses : des mots d'ordre révolutionnaires, des slogans, des bras levés, des paysages urbains, des drapeaux, bref même si ça n'accroche pas fort, ça a le mérite de changer l'aspect et la couleur du béton; de plus, cela donne l'occasion aux jeunes d'exprimer leur malaise, leurs attentes. Kif Kif International reprend du service, l'association se met au coude à coude avec Open Art, un nouveau venu sur la scène pour faire parler les murs. Open Art et Kif Kif International ont un but en commun: le désir de réconcilier l'art et la vie. Vaste programme! Première apparition : Vertige GraffiK. Revenons à l'endroit qui n'a rien de mégalo, encore moins d'aspect intello. Première tour à investir : les ex-locaux de la Stam (Société tunisienne d'acconnage et de manutention), un bâtiment haut de quelques étages dont il ne reste que le squelette, la coquille est vide, il y a des ouvertures ou ce qui reste des anciennes fenêtres; de près, cela donne une image d'un immeuble bombardé, situé au milieu d'un no man's land. Chariot élévateur, pots de peinture, grosses et petites brosses, gilets fluo, balais en l'air et jeunes pleins d'ambition et des hauts murs à remplir. Pas d'idoles, des graphistes en combinaison à la volonté de fer et d'airain, des «intervenants, performers» qui affrontent les problèmes urbains. Sont-ils armés pour changer les choses, les mentalités? L'art est au quotidien, nous annonce un performer, il le fait savoir, il communique avec des curieux de passage, des jeunes étudiants. Le terrain vague se transforme pendant quelques jours en espace d'art, de découverte et de contacts. Pour apprivoiser sa peur, l'homme des cavernes a peint des animaux sur les parois des grottes, l'artiste moderne affronte les murs de l'incompréhension, les portes et les plafonds des immeubles. Où l'on remarque que les petites baraques sans reliefs et sans charme ont pris des couleurs, des scènes joyeuses, des poings levés, des portraits en bérets, des formes croisées, des figures abstraites, des paysages animés. Plus loin, sur les murs d'un hangar, des jeunes s'affairent à habiller la façade de motifs géométriques. Cela change des images commerçantes de yaourts et de beurre. Vendredi, scène et instruments de musique et rythmes entrent en jeu, le groupe Gultrah sound, qui a ses fans, donne un concert. Une soirée, des vidéos sur les murs, des performances, des graffitis, des contacts, des chants, des cris, des jeunes épanouis, des ados sautillant de plaisir, la fête c'est beau à voir, les terrains en friche, ça ne coûte pas cher. Allez le dire aux responsables en charge de la culture.