La présence d'un film africain en compétition officielle à Cannes est un événement en soi. La dernière participation du continent africain remonte en effet à treize ans avec Kini et Adams d'Idrissa Ouedraogo. Sembène Osméne, Souleymane Cissé, Youssef Chahine et Yousri Nasrallah ont fait partie de la sélection officielle mais hors compétition et dans le contexte du festival de Cannes, la différence est de taille. Adam (« Champion ») et Abdel, père et fils, sont employés dans une hôtel où ils sont affectés à la piscine, Abdel en tant que moniteur et Adam en tant que responsable du site. Ancienne gloire de la natation à l'échelle régionale, « Champion » a consacré trente années de sa vie à son métier désormais menacé par les nouveaux propriétaires chinois. Dehors, c'est la guerre civile, la rébellion est aux portes de N'Djamena et la télévision a beau se vouloir rassurante, on mobilise les jeunes à tour de bras et l'ensemble de la population est appelé à contribuer à l'effort de guerre. Les patrons chinois décident de dégraisser, et commencent par se séparer de David, le cuisinier zaïrois de l'hôtel ami d'Adam qui est sommé par le chef du quartier à participer à l'effort de guerre. Confronté à la menace de perdre son emploi, Adam tergiverse. Faute de moyens financiers, offrir son fils à l'armée est la seule alternative qui reste pour « Champion ». Ce dernier est rétrogradé au poste de garde barrière et c'est désormais son fils, Abdel qui a, à lui seul, la responsabilité de la piscine. Abdel aurait-il passé un accord avec la direction en vertu duquel il aurait accepté de sacrifier son père pour préserver son poste, c'est ce que le film ne dit pas, même le changement d'attitude du fils après sa convocation par la direction le laisse penser. Le déclassement d'Adam sera à l'origine de sa trahison. Abdel est cueilli à la maison de ses parents par l'armée sous l'œil de son père qui retrouvera son prestige à l'hôtel à la faveur de l'enrôlement de son fils. Pris de remords, Adam tente de se racheter en allant sur les traces de son fils sur la ligne de front. Le rachat s'avèrera impossible. Dans « Daraat » la saison sèche, Haroun avait exploré la thématique du pardon avec la guerre pour toile de fond , dans « Un homme qui crie », c'est à une réflexion sur le rachat et la repentance que nous invite Haroun. Sa mise en scène toujours aussi ascétique, offre de beaux moments de cinéma à l'image de cette première séquence où le père et le fils se défient dans la piscine, ou encore au moment où le conflit se noue , ce plan séquence où père et fils sont associés dans le même geste à l'encerclement de la piscine par une longue chaîne de fer, geste qui anticipe sur la communauté de leur sort à venir. En nouant l'économique et l'historique, en scrutant les effets combinés de la mondialisation et de la guerre sur un homme, en donnant à voir le vacillement de son éthique, le réalisateur Tchadien brosse un tableau sombre mais très lucide d'un pays qui se meurt, oublié des dieux (Adam au plus profond de ses remords confesse à sa femme « qu'il n'y a plus rien à espérer du ciel »). On aurait aimé que Haroun fasse un peu plus confiance à sa mise en scène, ce qui aurait évité au film un certain didactisme, comme lors de ses conversations entre Adam et son ami David, (très mal dirigé par ailleurs), et dans ces trois plans de la fin qui surlignent le propos du réalisateur et font perdre au film la juste distance que Haroun a toujours su trouver avec son sujet. Sur ce plan, « Daraat » est exemplaire. Un homme qui crie », y arrive par moments.