L'Afrique est enfin de retour à la compétition officielle du festival international de Cannes. Celui qui a relevé le défi, représentant le continent, n'est autre que Mahamet Saleh Haroun qui a réussi avec Un homme qui crie, pour reprendre l'expression du critique Jean-Pierre Garcia, à «lever l'interdit semblant frapper les images africaines» depuis voilà treize ans. Cette participation est d'autant plus importante que la compétition de cette 63e édition ne comporte que 18 longs métrages, alors qu'on dénombrait jusqu'à 22 films au cours des session précédentes. Il faut dire aussi que Haroun n'est pas à sa première participation à un festival prestigieux, puisque déjà Bye Bye Africa, sélectionné à «Venise» en 1992, a remporté le Prix de la première œuvre, tandis que son 2e opus Abouna a été sélectionné à «La quinzaine des réalisateurs» à Cannes, et qu'enfin, son 3e film Daratt, saison sèche a obtenu, en 2006, le Prix spécial du jury, encore à «Venise». Or, justement, Un homme qui crie clôt la trilogie entamée avec Abouna. Un homme qui crie a été le titre de raccourci, l'initial étant une citation d'Aimé Césaire‑: «Un homme qui crie n'est pas un ours qui danse». Voilà qui donne le ton à cet opus, mettant en scène le rapport père-fils, et traitant du thème récurrent chez Haroun‑: celui de la transmission et de la filiation, à travers l'histoire d'Adam et d'Abdel qui travaillent, tous deux, à la piscine d'un hôtel de luxe de la capitale tchadienne, N'Djamena. Le père, ancien champion de natation, est maître nageur, le fils l'aide dans sa tâche. Mais ‑— mondialisation oblige‑— lors du rachat de l'hôtel par des Chinois, Adam doit laisser la place à Abdel. Il vit très mal cette situation et se sent humilié et touché dans son amour-propre. Sa fierté d'homme et de père. Bref, se sentant déconsidéré et déclassé socialement, Haroun sombre dans la mélancolie et la tristesse jusqu'à en perdre le goût de vivre alors qu'en arrière-fond, les bruits de guerre se rapprochent… les rebelles étant aux portes de N'Djamena. Ce qui séduit dans Un homme qui crie, c'est la simplicité du traitement et l'art de l'épure, fond et forme confondus. La relation entre le père et le fils, bien que complexe, entre amour et animosité, est filmée avec sobriété et tendresse, voire émotion. Même si Adam, harcelé par le chef de quartier, envoyé du gouvernement qui exige de la population argent ou enfant en âge de combattre les assaillants, finira par sacrifier son fils, faute de pouvoir payer en argent «cet effort de guerre». La référence religieuse est ici claire, mais si Dieu est venu en aide au Prophète Ibrahim, le film montre que cela n'a pas été le cas pour Adam. D'où le doute qui saisit Adam, rongé par la culpabilité et les remords, d'autant que l'amie de son fils attend un enfant. Se sentant abandonné du ciel, il décide d'agir et de ramener son fils du front… Le film se clôt sur une scène finale poignante, une boucle renvoyant à la scène d'ouverture filmée dans la piscine de l'hôtel : le père dans le fleuve et le corps de son fils voguant à ses côtés juste quelques instants avant de disparaître. C'est la nouvelle génération sacrifiée par l'ancienne, nous dit Haroun. Ainsi, Un homme qui crie se focalise sur des sous-thèmes‑: les conflits et les guerres en Afrique, la mondialisation et la mise des gens au chômage après des années de travail (d'où la tirade du cuisinier renvoyé‑: «David ne peut rien contre ce Goliath»), traite essentiellement de la transmission ratée entre père et fils, non seulement à l'échelle du microcosme familial, mais aussi social, politique et national. La rupture politique entre les pères africains de l'indépendance a sécrété une forme de violence latente ou manifeste qui empêche toute stabilité et bouche les horizons. Un discours direct, un peu facile Apprécié par la critique internationale, Un homme qui crie pèche par quelques répliques mal amenées, façon discours direct, sur la foi et la religion, un peu facile, mais surtout par sa vision et la peinture du personnage de la mère, passive et confinée dans le silence, même la jeune Djenéba, l'amie d'Abdel, se contente de pleurer dans son coin, n'affichant aucune volonté de vouloir agir, bien que son apparition bouleverse le père. Interrogé sur cet aspect du film lors de la conférence de presse, le réalisateur explique «que les guerres ont toujours été le fait des hommes et que la femme est plutôt porteuse de vie» (sic). Bref, le cri métaphorique que pousse Adam parce qu'il se sent abandonné de Dieu, c'est quelque part aussi celui que pousse l'Afrique, car abandonnée de tous. «A travers mes films, je dis que l'Afrique s'inscrit dans l'humanité, ce qu'on lui a souvent refusé. Je suis un homme donc, je suis porteur de l'universel et ça ne devrait étonner personne», a souligné Haroun. Un homme qui crie se distingue enfin par le jeu de l'acteur qui campe le rôle central, celui du père, Youssef Djaoro, un habitué qui a déjà joué dans Daratt. Son jeu instinctif et félin imprime au film davantage d'émotion. Un homme qui crie pourrait bien figurer dans le palmarès de Cannes 2010.