Une cérémonie toute en sobriété, un parterre de stars, dont nous citerons la ravissante Yousra, toujours égale à elle-même, Nour Chérif, peut-être un petit peu fatigué mais qui n'a rien perdu de son aura non plus, sans oublier Mejda Erroumi, toute en finesse, montée sur scène pour saluer timidement le public de la prestigieuse « bonbonnière de l'avenue H. Bourguiba, ou encore le cinéaste tchadien Mahamat-Salah Haroun, ému de voir son film ouvrir les JCC, et puis d'autres encore, à l'instar de N'Faly Kouyaté (Guinée) avec sa Kora, et Nesrine Hmidane (Liban), accompagnée de son luth, qui ont chanté séparément et ensuite en duo, avec beaucoup d'allant, marquant ainsi l'atmosphère, d'une liesse, qu'est venu casser par la suite, mais en beauté, la projection du long-métrage de l'auteur de « Abouna », ou « Daratt, saison sèche », en fait la véritable vedette de la soirée, après la présentation des membres du jury de cette édition, et les allocutions d'usage, déclarant ouverte, la 23ème session des Journées Cinématographiques de Carthage. «Un homme qui crie» Une très belle scène ouvre le film : celle qui montre le rapport de tendresse profonde qui unit un père à son fils. Et l'on se dit que ce lien-là, nul ne pourra le rompre. Sauf que la suite des évènements nous montrera que si ce lien demeure quelque part indestructible, la guerre, même filmée en palimpseste, comme une toile de fond ponctuée de quelques tirs de mitraillettes, de bruits d'avions en basse altitude, et d'informations diffuses sorties d'un vieux poste de radio qui grésille, parviendra à l'éroder, pour ne pas en dire d'avantage. Car l'insouciance ne durera qu'un instant… Adam, ancien champion olympique de natation, officie comme maître-nageur dans la piscine d'un hôtel luxueux de N'Djamena. Mais l'hôtel est repris par des Chinois et la direction décide de se passer des services du père pour le remplacer par son fils Abdel, qui a juste vingt-ans. Adam remplacera l'ancien garde-barrière, dans un costume étriqué, trop petit pour lui, et qui le gêne aux entournures. Le père et le fils n'en parlent pas ; ou à peine ; juste quelques mots, par-ci, par-là, qui trouent le silence, de plus en plus pesant. Et ce n'est pas seulement le nouveau costume du père qui le gêne aux entournures. Il doit donner de l'argent pour participer à « l'effort de guerre » institué par le pouvoir en place, comme une obligation. Faute de quoi il devra accepter de livrer son fils unique, aux mains des militaires, pour combattre les « rebelles ». L'irréparable sera commis… Mahamat-Salah Haroun, lui-même rescapé de cette guerre, a fait un film, non pas pour évoquer frontalement, cette guerre, avec ses faits d'armes, ses héros vrais ou faux, et tout le bruit qui va avec, comme on a coutume de voir la guerre au cinéma, mais en l'abordant par un chemin de traverse, qui ressemble fort à un chemin de croix. Celui d'un père crucifié par un choix qui n'en est pas un, où il se trouve acculé, par la faute d'une guerre civile qui n'a que trop duré, et dont les spectateurs perçoivent l'écho par à-coups, ainsi que toute la douleur muette, dans le regard d'Adam, parti à la recherche de son fils blessé pour le ramener à la maison. Et si un brin d'espoir apparaît, lorsque la petite copine d'Abdel, avec son bébé dans le ventre vient se réfugier chez ses beaux-parents, la fin du film, jusqu'au moment ultime où, après avoir confié douloureusement aux flots, le corps tuméfié de son enfant, Adam continue à marcher dans l'eau dans une errance sans fin, viendra dresser, sans concession et sans rémission, le constat d'une tragédie qui n'en finit pas de se dérouler à huis-clos, dans un pays, le Tchad, où vivre ressemble toujours à une parenthèse dont nul ne sait quand elle sera fermée, si ce n'est la certitude qu'à un moment ou un autre, la vie peut s'arrêter. « Un homme qui crie n'est pas un ours qui danse », écrivait Aimé Césaire auquel Mahamat Salah Haroun a emprunté la parole pour en faire le titre de son film. Prix spécial du jury au Festival de Cannes 2010, « Un homme qui crie » est aussi l'histoire d'une transmission, mais le fil a été rompu…